M COMME MADAME SAÏDI

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Madame Saïdi de Bijan Anquetil et Paul Costes

Faire un documentaire en Iran n’est jamais sans doute évident. Surtout s’il s’agit de filmer une femme. Mais Madame Saïdi, le personnage du film de Bijan Anquetil et Paul Coste, n’est pas une femme comme les autres, une femme qui ne pourrait se présenter que comme femme. Car c’est une mère de Martyr. Son fils Reza a été tué sur le front de la guerre Iran-Irak. Une situation dont elle tire un prestige certain. Et même une certaine fierté. Oh, bien sûr la perte de son enfant lui a causé une grande douleur. Mais en bonne musulmane, en bonne citoyenne de la république islamique, elle se doit d’accepter ce sacrifice.

Ce premier trait distinctif du personnage dont le film fait le portrait pourrait déjà à lui seul constituer le sujet du documentaire. Il s’en ajoute cependant un autre qui ne peut que surprendre. Car cette femme déjà âgée  est aussi actrice, vedette de la télévision où elle interprète un rôle de mère de martyr dans des séries populaires. Du coup le film va prendre une dimension inédite et développer une problématique concernant la rémunération d’un personnage dans un documentaire. Car pour les rôles qu’elle a joués jusque-là, Madame Saïdi était bien évidemment payée. Alors pour elle, et pour son mari, il va de soi que les réalisateurs français qui veulent la filmer, doivent aussi lui signer un contrat précisant sa rémunération. Chose bien sûr totalement hors de propos en France, comme d’ailleurs la justice l’avait confirmé dans le procès intenté à Nicolas Philibert  par l’instituteur « vedette » de Etre et Avoir. Mais nous sommes en Iran, et les réalisateurs n’ont pas d’autres solutions que de se plier aux exigences de la « star ».  Ce qu’ils font d’ailleurs avec un certain humour, puisqu’ils n’hésitent pas à filmer les négociations qui s’ouvrent alors et d’en faire même une partie importante de leur film.

Et ils ont vraiment eu raison de se plier aux exigences (en faisant baisser le « salaire » payé quand même) de leur personnage, tant elle crève l’écran en quelque sorte. Parlant sans arrêt, elle est une véritable experte de la communication, et l’on imagine que les réalisateurs n’ont pas eu beaucoup de peine à solliciter ses interventions. Que ce soit dans un discours officiel dans une cérémonie consacrée aux martyrs de la guerre, ou dans un taxi où le chauffeur lui fait faire « le tour de la ville » dans une situation qui rappelle le film de Jafar Panahi, Taxi Téhéran. Et puis chez elle, avec son mari ou son fils (à qui elle reproche de ne pas chercher à sa marier), ou avec ses voisines, elle occupe toujours le premier plan, considérant tous ceux qu’elle côtoie avec hauteur et parfois même un certain mépris.

Un film donc qui nous dit beaucoup de chose sur l’Iran, mais aussi sur le cinéma documentaire dans ses conditions de réalisation.

Compétition européenne au festival Rencontres du moyen-métrage de Brive.

 

Par jean pierre Carrier

Auteur du DICTIONNAIRE DU CINEMA DOCUMENTAIRE éditions Vendémiaire mars 2016. jpcag.carrier@wanadoo.fr 06 40 13 87 83

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