1 Quelle a été la genèse de votre film Ceci est mon sang. D’où vient l’idée de départ ?
L’idée m’est venue en 2009, à l’époque de la réélection contestée du président iranien. Il y avait alors de nombreuses manifestations dans mon pays et pas mal de mouvement. Je lisais régulièrement les journaux iraniens sur le net pour me tenir au courant et un jour, par hasard, je suis tombée sur un article portant sur l’affaire du sang contaminé et sur la plainte dont elle avait fait l’objet. En faisant quelques recherches, j’ai appris que les produits contaminés provenaient de France.
Je vivais à Paris depuis 2007 et c’était la première fois que j’entendais parler de cette affaire et de ses conséquences en France comme en Iran. J’ai poursuivi mes recherches et au fur et à mesure que je progressais, j’étais de plus en plus choquée par ce que je découvrais. J’ai notamment appris l’impact de ce scandale à l’échelle internationale, grâce au très beau documentaire de la réalisatrice Marie-Ange Poyet, intitulé « L’Autre scandale ». Mais personne ici, ne faisait allusion aux retombées que les ventes de sang contaminé avaient eues sur l’Iran.
En tant qu’iranienne installée en France, je me suis sentie impliquée dans cette affaire pour deux raisons. D’une part, je me suis aperçue que, le plus souvent, les Français n’avaient pas connaissance de l’ensemble des conséquences relatives à ce scandale et par ailleurs, je faisais face à la mort et à la souffrance en silence de mes compatriotes, faiblement dédommagés par l’État Iranien.
2 Comment avez-vous trouvé les quatre protagonistes, en France et en Iran?
Cela n’a pas été facile ! Pour trouver des victimes en Iran, j’ai pris contact avec le centre national des hémophiles où Monsieur Ghavidel, le directeur, m’a accueillie très chaleureusement. Il m’a fourni tous les documents qu’il avait conservés sur l’affaire pendant des années : des journaux, des archives du procès, les reportages et films déjà réalisés sur cette affaire. Il m’a soutenue, m’a raconté ce qui s’était passé pendant toutes ces années. S’il n’avait pas été là, ce film n’existerait pas, c’est sûr.
J’ai rencontré Mohamad J. et Mohamad S. et échangé avec eux assez facilement. Je dois préciser qu’ils ont accepté d’être filmés parce que je leur ai promis que le film ne serait pas diffusé en Iran.
Après cette première étape, les difficultés se sont poursuivies en France. J’ai pris contact avec l’AFH, l’Association Française des Hémophiles et grâce à eux, j’ai assisté à une projection pendant laquelle j’ai rencontré Philippe.
Pour ce qui est de la quatrième personne, j’ai cherché plusieurs mois… J’ai frappé aux portes des associations d’hémophiles dans les différentes régions de France. J’ai même échangé avec un homme qui était parti vivre au Canada et qui était sur le point d’accepter de témoigner avant de finir par se rétracter, malheureusement. J’étais prête à tout pour rencontrer et filmer celui ou celle qui accepterait. Je me suis rendu compte que témoigner des conséquences de ce drame était très difficile même quand les victimes le pouvaient encore.
Finalement, en fouillant dans divers extraits de journaux sur les retentissements de l’affaire en France, j’ai découvert le témoignage de Sylvie. J’ai réussi à remonter jusqu’à elle grâce à un journal en ligne sur lequel paraissait une interview très récente. J’ai pris contact avec la rédaction et quelques jours après, je recevais un coup de fil de Sylvie. Le miracle !

3 La production et la réalisation ont-elles rencontré des problèmes particulier du fait du va et vient France-Iran ?
La production n’a pas été facile ! J’ai rencontré quelques producteurs en leur montrant un teaser sur le film que j’avais monté au bout de quelques mois de tournage mais je n’ai eu aucune réponse positive. J’ai tout de même décidé d’aller jusqu’au bout et de réaliser ce film sans boite de production. J’ai porté ce projet à bout de bras et ai fait le film avec mes propres moyens. Je l’ai ensuite transmis à diverses boîtes de distribution, mais cela ne les intéressait pas vraiment. Je ne sais pas pourquoi au juste. ‘120 Battements par minute’ fait pourtant partie des œuvres qui ont démocratisé le sujet. Il y est d’ailleurs fait allusion du sang contaminé. On m’a reproché de ne pas avoir réalisé un film type investigation ou alors on me disait que cette histoire était désormais du passé. Sans même regarder le film parfois, simplement en entendant parler du sujet.
Le tournage s’est plutôt bien passé. La première fois un ami chef-opérateur français est venu avec moi en Iran mais les autres fois j’avais un cadreur sur place à qui je faisais appel chaque fois. Puis j’ai procédé à toute la post production en Iran grâce au coût relativement faible par rapport à la France.
4 Quelle importance accordez-vous à la musique dans votre film et dans le cinéma documentaire en général?
Pour moi la musique est indispensable dans le cinéma que ce soit dans le monde du documentaire ou de la fiction. On voyage avec l’image et la musique, pour moi c’est comme ajouter une autre dimension à l’image; un peu comme si on ajoutait une sensation olfactive pour réussir ce voyage et se sentir vraiment vivre l’image.
5 Pouvez-vous nous parler de vos autres réalisations dans le domaine du documentaire.
« Ceci est mon sang » est mon premier long-métrage et avant cela, j’avais réalisé deux courts-métrage dans le cadre de mes études de Cinéma. Un pour être admise et un autre en tant que film de fin d’étude. Depuis j’ai réalisé un court-métrage pour la télé iranienne et d’autres projets sont en cours.
6 Avez-vous des liens avec le cinéma iranien et en particulier le documentaire ?
Je pense que je suis toujours à la recherche de l’esthétisme et de la beauté de l’image, quelque soit le sujet du film, cela est bien présent dans le cinéma d’Abbas Kiarostami. Je me sens donc très inspirée par ce grand cinéaste.
7 Sur quoi travaillez-vous actuellement ? Quels sont vos projets à court et moyen terme ?
En ce moment je travaille sur plusieurs projets de documentaire, notamment un film sur un sujet de santé publique et un autre le portrait d’une femme féministe, littéraire et engagée.
Lire la critique du film : https://dicodoc.blog/2023/09/04/sang-contamine-sida/

