Ariane Doublet – Entretien

Pouvez-vous nous présenter votre itinéraire professionnel.

J’ai commencé par faire de la photographie et j’ai travaillé aussi en laboratoire. Je faisais du tirage argentique et après ça j’ai passé le concours de l’école de cinéma, mais dans la section images pour commencer. Puis je suis passé ensuite en montage donc j’avais une sorte de double formation et à la sortie de l’école de la Fémis, on est en 1991, j’ai d’abord fait du montage. Il faut savoir aussi que notre film de fin d’étude à la Fémis c’était un film collectif des étudiants monteurs. On avait décidé de travailler ensemble sur un film d’archives sur Terre Neuve, sur la pêche. Et donc ce film qui s’appelait Terre-Neuva, qui s’appelle Terre-Neuva, a eu une vie dans les festivals, puis Arte ensuite l’avait acheté pour le diffuser, donc ça nous a un peu lancé, la bande des menteurs de cette promo Fémis. On a fait un 2e film ensemble en collectif, donc des films d’archives, un montage d’archives.

Ensuite, j’ai surtout fait du montage, j’ai travaillé sur des films documentaires, des fictions. J’étais assistante monteuse, enfin voilà. Et puis en 1995 j’ai gagné un petit concours de scénario pour réaliser un court métrage et j’ai commencé comme ça la réalisation. Et ce court métrage que je tournais dans mon village en Normandie avec les agriculteurs voisins, m’a donné envie d’un film plus long. Puis je quand il y a eu l’éclipse en Normandie, j’ai tourné un film qui s’appelait les Terriens, donc ça c’est 99 l’éclipse et ce film est sorti en salle et puis a rencontré quand même un succès public et en festival aussi. Après ça j’avais rencontré des producteurs à cette époque qui ont produit les Terriens et avec qui j’ai continué par la suite. Ça s’appelle Squawk productions et j’ai produit quasiment tous mes films avec eux.

Et de fil en aiguille, voilà, j’ai réalisé toujours des documentaires en fait, enfin des films documentaires. Souvent dans la région normande, souvent autour de chez moi. C’est pas du tout des films sur la Normandie. Enfin, ils se passent en Normandie, mais c’est des films j’espère plus universels.

Il y a quand même un ancrage dans le terroir…

Oui,  de manière géographique, mais en fait, je pense que mes films ils pourraient se passer ailleurs. Enfin, j’aime beaucoup les lumières et les paysages de la Normandie, mais je pense que mes films, ce qu’ils racontent, ça pourrait tout à fait se passer ailleurs, c’est pas des spécificités propres à la Normandie je crois pas, à part peut-être celui qui s’appelle La pluie et le beau temps puisque il est question quand même de la commercialisation du commerce du lin. Donc ça c’est vraiment propre. Comme il est produit en Normandie. Voilà. Et puis j’ai réalisé une quinzaine de films. Je travaillais aussi au Bénin, j’ai eu un travail qui se développe  dans un petit village au Bénin.

Il me semble donc qu’il y a quand même un peu un ancrage avec la Normandie ne serait-ce que par le contexte où vous tournez ?

Oui, oui, c’est ça, c’est le lieu de mes tournages.

Il me semble qu’il y a dans vos productions plus récentes, en fait récentes, disons, ces quelques années, une orientation sur des problèmes d’actualité. Les problèmes de l’immigration, de l’accueil des immigrés, du devenir des immigrés, notamment dans le dernier film. Est-ce pour vous un tournant ?

Non je ne pense pas que ce soit un tournant. J’ai toujours du mal avec le mot sujet parce que je mes films, je ne pars pas d’un sujet, je pars toujours de rencontres.

Et puis je ne pense pas que ce soit un sujet d’actualité, c’est à dire c’est une question vieille comme le monde. La question des exilés et puis de l’accueil qu’on leur réserve. Mais il se trouve que oui en fait, il y a un village pas très loin du mien, qui il y a 5 ans, a fait des démarches pour pouvoir accueillir. Le maire et un groupe de bénévoles souhaitaient pouvoir apporter leur part sur l’accueil. Et donc j’ai commencé, j’ai fait ce film qui s’appelle les Réfugiés de Saint-Jouin et qui a pris une drôle de tournure parce que tout était fait pour qu’une famille soit accueillie. Mais personne n’arrivait puisque les rouages administratifs et la préfecture mettaient beaucoup de bâtons dans les roues.

Et puis je me suis rendue à plusieurs reprises à Calais, donc j’ai accueilli à la maison des Soudanais au moment du démantèlement de la jungle, parce que je les avais rencontrés là-bas. Et ils n’avaient pas où aller. Et comme ça, de fil en aiguille, finalement, on a fait une association avec des gens du Havre, des gens qui accueillaient. On s’est associé pour faire une association d’accueil pour les jeunes, pour des mineurs isolés et c’est comme ça que j’ai rencontré Alassane. Puis Abou enfin, puis beaucoup d’autres jeunes. Mais il se trouve qu’avec Alassane, puis avec Abou, j’ai fait avec chacun un film. Entre les 2 d’ailleurs j’ai fait un film qui n’a rien à voir. Qui s’appelle La 5e saison et qui est sur un maraîchage, en fait un chantier d’insertion par le maraîchage, où il y a des exilés qui travaillent là, mais c’était assez différent.

Voilà c’est vrai qu’un film en appelle un autre. Et puis les rencontres que je fais finalement, je ne me dis jamais tiens, quel sujet je pourrais aborder ? C’est l’inverse en fait, je rencontre des gens et puis j’ai envie de les filmer. Alors c’est vrai que la famille syrienne, c’était un peu différent parce que je savais pas du tout qui arriverait. Je connaissais le maire, je connaissais l’équipe de bénévoles, mais je ne savais pas du tout qui serait la famille qui arriverait à Saint-Jouin. C’était un gros risque parce que les gens auraient très bien pu ne pas accepter d’être filmés et auquel cas j’aurais arrêté le tournage alors que ça faisait déjà 6 mois que je les attendais. Mais bon, j’ai eu de la chance, on est tombé sur une famille super.

Ils deviennent les personnages du film, comme pour beaucoup de vos films. Il y a des personnages…

Oui et puis après, j’ai des liens très forts avec les gens que je filme et qui perdurent, en général on ne se perd pas de vue.

J’ai tourné il y a 20 ans maintenant dans une usine qui était menacée de fermeture dans les Sucriers de Colleville et il y a toujours un certain nombre d’ouvriers que je vois. En fait, on se voit toujours, on a gardé des liens et je fais des films souvent le tournage dure un an, ce sont des films où je suis en immersion. Je passe beaucoup, beaucoup de temps avec les gens que je filme, donc forcément ça crée des liens qui sont déjà souvent là avant qu’on commence le film, ce qui était le cas avec Abou. Abou en fait, on se connaissait avant de commencer à faire le film. Le tournage a duré, s’est déroulé sur un an, sans que je tourne tous les jours. Mais il s’est déroulé sur une année scolaire à peu près, qui est sa première année scolaire. C’est pour ça que j’ai voulu tourner à ce moment-là. C’était sa première rentrée. C’était son rêve d’aller à l’école et il a commencé l’école à 18 ans, sans savoir ni lire ni écrire.

Et c’est ce qu’il fait de votre film, un film d’éducation ?

J’étais très touchée par le plaisir qu’il a à recevoir de l’enseignement. Comme il a un respect pour ses profs. Pendant 15 ans, son souhait le plus cher, c’était de pouvoir aller à l’école. Et ça a pu se concrétiser quand il est arrivé au Havre.

Il devient un héros finalement…

En tout cas, ses profs l’adorent parce qu’il est tellement respectueux de l’enseignement. Mais, ce qui est drôle, au début, il pensait que le savoir allait se déverser en lui comme quelque chose de magique. Quand il a compris qu’il fallait que ça allait être dur. Pour apprendre à lire ça a été très très dur en fait, ça a été énormément d’efforts. C’est une vraie injustice. Je trouve que c’est ce qu’on voit dans le film, quand on n’a pas été scolarisé, jamais de la vie. Comme à 18 ans, c’est dur d’apprendre à lire.

Et sa situation administrative, elle est dure aussi.

Donc on le soutient, l’association le soutien. Je pense que le film l’a beaucoup soutenu aussi. Et puis sa situation administrative s’est arrangée, sans doute momentanément, mais c’est déjà pas mal. Et donc il poursuit là ses études et il va plutôt bien. Bon, en fait, il va quand même plutôt assez bien.

Et les 2 garçons de Green boys vous les revoyez aussi ?

Lucas et Alassane. Ah oui oui Alassane il me téléphone tous les dimanches.

Oui, avec Alassane, on a aussi une relation qui est importante. Alassane, il va très bien, il fait exactement ce qu’il voulait faire. Il est en CDI chez Renault maintenant.

Il est au Havre toujours. Lucas a grandi, Il avait 12 ans dans le film, aujourd’hui, il en a 17 donc c’est vraiment l’âge de la métamorphose.. Lucas et Alassane continuent à se donner des nouvelles aussi entre eux.

Vous avez parlé tout à l’heure de votre producteur, vous avez travaillé avec le même producteur depuis le début ? Ça facilite quand même le travail de production, enfin la possibilité d’une production…

En tout cas je pense que ça facilite le démarrage des films. C’est à dire que quand je leur parle d’un projet, en général, ils enclenchent assez rapidement. Enfin, c’est rare qu’ils n’y croient pas du tout. J’ai moins à faire mes preuves auprès d’eux. Par contre, pour trouver des financements, c’est toujours toujours les mêmes difficultés. Je trouve qu’au bout d’un moment, quand on a fait un certain nombre de films, ça devrait être plus facile.

En documentaire, ce n’est pas le cas franchement. D’abord il y a, il y a quand même très peu d’espaces de diffusion, la télévision joue pas, remplit pas son rôle, il y a très très peu de cases de documentaires de création. Il y a beaucoup de magazines, de reportages, des choses comme ça. Sur le documentaire de création, il y en a de moins en moins. Arte, au début, il y avait un espace pour le documentaire de création. Maintenant, il y en a quasiment plus.

Donc, pour les producteurs, c’est très difficile de produire.

Vos films, s’ils ne sortent pas en salle il a très peu de possibilités.

 Il y a de petites cases à la télévision, il y a de petites niches comme ça on arrive à trouver. Il y avait cette case qui s’appelle L’heure D. Moi, mes 3 derniers films ont été faits pour elle. Green Boys était fait à l’origine pour l’heure D mais il y a eu une version cinéma. Mes 3 derniers c’était pour cette case, L’heur D, qui est sur France 3 qui est une case qui est plutôt bien. Je trouve qu’on est assez libre de faire les films qu’on souhaite faire. Et puis après ? Ben c’est vrai que de produire un film pour la salle c’est long. Voilà, c’est avant d’avoir des financements et tout ça, ça prend du temps et cette case L’heure D, ils étaient capables de signer très vite, c’est pas des financements très conséquents, mais en tout cas qui permettaient, permettent, puisque la case existe toujours.

Vous faites une distinction entre film documentaire pour la télévision et pour le cinéma en salle.

Ouais, on les aborde pas tout à fait de la même manière. Déjà il y a le format. Parce que cette case elle impose un format de 52 minutes et pour certains films ça colle pas. En fait il faut-il faut anticiper. C’est à dire que le film avec Abou, 52 minutes je pense, ça convenait très bien, ça ne m’a d’ailleurs vraiment pas du tout embarrassée.

Pour un film comme Les Réfugiés de Saint-Jouin, alors ça, c’était Arte, mais Arte aussi voulait 52. Alors on est arrivé à pousser jusqu’à 59 minutes, mais c’était un peu court. On avait une version d’une heure et quart qui était très bien. Ils n’ont même pas voulu la garder pour les festival. Ils sont vraiment très durs. J’avais plus de liberté avec France 3.

Après il faut toujours trouver des moyens de faire, mais ça c’est le rôle des producteurs. Mais là où j’apprécie beaucoup, c’est que, en gros, ils me disent vas-y. On se sépare, nous, on cherche les financements, toi tu fais le film et puis ils font toujours les choses en faveur du film. Je les apprécie beaucoup. Ils produisent que des films documentaires.

Et vous n’êtes pas tentés par la fiction ?

Si en fait là j’entame un projet de fiction. Enfin qui est un petit peu hybride parce que y a quand même beaucoup de personnages documentaires à l’intérieur. Mais j’écris une histoire et disons que le personnage principal est assez fictif, mais que tous les autres personnages sont vraiment des gens du réel.

Voilà, et donc là, il va falloir que je trouve un autre producteur. Oui, parce que Quartz, c’est uniquement le documentaire.

C’est un grand saut quand même, non ? Un grand changement dans le cinéma, non ?

Non, Au départ, je pensais faire un documentaire et puis je me suis rendu compte qu’il valait mieux que j’aborde les choses avec plus de fiction. Donc j’ai commencé à mettre de la fiction là-dedans. Green Boys, c’est vraiment un documentaire, mais ça sonne comme une fable. Donc voilà, en fait je pense qu’à force je me suis rendu compte que des gens que je filmais dans le réel avaient une capacité de jouer. On prend Abou par exemple, c’est un acteur. Je trouve qu’il est incroyable Abou. On pourrait lui faire jouer. Il a une capacité comme ça, une présence. C’est d’avoir senti ça dans mes films qui m’a donné, qui me donne envie de faire plus de mise en scène. Bien que j’en fasse dans mes documentaires. On verra ce que ça donne.

Vous allez le mettre en réalisation bientôt ?

Ah non, ça va être long, là j’écris. Donc là j’ai une aide pour l’écriture, ça va être petit à petit comme ça, ça je pense, ça prend du temps ça.

Mais vous n’allez pas abandonner le documentaire ?

Non, non, mais d’ailleurs il y a une part de commentaire dans ce projet. Vraiment. C’est un peu hybride. Voilà on peut croiser les choses.

Oui, on est à une époque où les frontières absolues, ça n’existe plus trop.

Enfin, ça existe géographiquement justement.

Dans la production actuelle, qu’est-ce qui vous paraît intéressant ? Qu’est-ce qui vous attire le plus ? Soit en documentaire, soit en fiction ?

Vous voulez dire dans les films que j’ai vus récemment ? J’ai trouvé Little girl Blue. un film formidable, Le film de Mona Hachache qui est justement un objet…c’est un essai quoi. Enfin je sais pas comment définir ce film. C’est un portrait de sa mère, qui s’est suicidée, à travers les archives qu’a laissé sa mère. En même temps, elle fait jouer le rôle de sa mère à Marion Cotillard qui est extraordinaire. Moi je découvre Marion Cotillard que je ne soupçonnais pas. Et le film, il est vraiment intéressant dans sa forme. J’ai hâte de voir les chimères, le film de Alice Rohrwacher, parce que j’aime beaucoup son travail, j’aime beaucoup, beaucoup. Après c’est compliqué de dire comme ça à brule pourpoint.

Qu’est-ce que j’ai vu comme très beau documentaire récemment ? Je parlais des films un peu hybrides, Ken Loach qui fait des fictions. Mais ce sont des fictions très documentées. On a l’impression qu’il y a des personnages documentaires.

J’apprécie beaucoup Claire Simon, qui est une amie. Le dernier film de Claire, Notre corps, qui est un film très fort. Le film de Nicolas Philibert Sur l’Adamant.

Vous avez une perception de l’avenir du cinéma et notamment du documentaire ?

 je sais pas, c’est difficile de dire. Voilà, c’est difficile, tout le monde parle des plateformes. On n’a pas accès tellement aux plateformes. Enfin je veux dire en tant que réalisateur de documentaires.

C’est compliqué la diffusion des films, moi je trouve que déjà moi mon plaisir, je sais que c’est quand même de les faire. C’est la fabrication. Oui c’est le tournage, le montage, c’est d’aller au bout d’un film après.

Évidemment, on fait les films pour qu’ils soient vus, mais c’est là où sont les obstacles. Enfin, je veux dire les sorties salles de documentaires, ça peut être tragique. Enfin ça peut être plus une semaine en salle, 500 spectateurs. Et puis. au moins la télévision. Abou à la télévision, il a fait tout de suite la première diffusion. Il a fait 250000 téléspectateurs donc c’est autre chose. Par contre on a moins de retour, on a moins de rencontres, qu’avec une sortie salle. Mais parfois il y a les 2 quoi. Et le film sort en salle, puis il est diffusé à la télévision. Mais c’est pas la même échelle,

Et les festivals, Vous avez souvent été sélectionnée dans les grands festivals de documentaires.

Ou, au Réel. Assez régulièrement, j’étais au festival du réel.

Abou, on l’a très peu envoyé en festival parce que il n’a pas de version anglaise.

Donc les festivals, oui, c’est un lieu où on rencontre aussi d’autres cinéastes. Donc ça c’est chouette.

Parfois les films partent dans des festivals. Green Boys, il est parti dans des festivals à l’étranger, mais on peut pas toujours les suivre, on n’est pas toujours invité non plus.

Les films vivent leur vie, c’est très bien. Moi je demande pas mieux que les gens s’en emparent. Et puis les films circulent et puis, on n’est pas toujours obligé de les accompagner non plus. On demande beaucoup ça au cinéaste de documentaire d’accompagner leur film.

Oui, de plus en plus.

Même en dehors des festivals. Donc, on se retrouverait à faire des tournées pour des séances uniques, à droite à gauche. Ça, je l’ai fait beaucoup, là, j’essaie un peu de réduire. Je me dis faut que les films vivent tout seuls.

Moi je considère, une fois que le film est terminé, normalement il peut vivre sa vie tout seul. Mais du coup, Alassane a accompagné Green boys. Abou demande pas mieux que d’accompagner le film. Donc moi je délègue comme ça je trouve que c’est très bien, il s’approprie les choses.

C’est aussi un plaisir sans doute pour lui de rencontrer des gens, d’être accueilli. Actuellement beaucoup de cinéastes documentaristes disent que ça fait vraiment partie de leur métier, de suivre le film et que sans cet accompagnement, beaucoup de films ne seraient pas vus. Ça devient quasi obligatoire.

Oui, mais c’est un peu trop. Ça prend beaucoup de temps. Et financièrement c’est un peu compliqué.

Pour finir, quelle est pour vous la spécificité du documentaire.

Je pense que le fait de filmer les gens me permet de les rencontrer d’une façon très forte et singulière, c’est à dire quand on filme quelqu’un, la personne aussi, on lui demande une forme d’abandon. Il faut qu’il lâche, parce que autrement, s’il contrôle trop. Enfin moi je cherche pas du tout à faire oublier ma caméra, enfin à me faire oublier. C’est un rapport qui est assez frontal dans l’échange. Donc je demande beaucoup aux gens que je filme en fait. Je leur demande de donner beaucoup, d’apporter, de construire ensemble. Il y a un peu des échanges, un peu de temps en temps, mais je ne fais pas d’entretien par exemple, c’est des scènes plus mises en situation mais parfois les situations je les provoque un peu quoi.

Et je pense que c’est pour ça qu’après on garde des liens, on a un lien très fort pendant le tournage qui ensuite perdurent. C’est une façon de rencontrer qui est vraiment très singulière et je pense que les gens donnent quelque chose qu’ils ne donnerait pas autrement. Voilà c’est comme de l’extrait d’eux-mêmes. Ils ont une conscience. Souvent ils disent Ah mais alors là tu veux me filmer ? Je me souviens des personnages des Terriens qui étaient très surpris que je leur propose de participer à un film et puis en fait après il y a eu beaucoup de plaisir. Souvent, il faut un petit temps quand même de fonctionnement, on apprend les uns des autres à la manière dont on va travailler et moi je sais que mon travail c’est de m’adapter à la personne que je filme, parce que ça va être à chaque fois différent. Il y a des gens qui sont à l’aise, plus ou moins, mais il y a des gens qui ont besoin d’indications, de mise en scène, de ce qu’on attend d’eux, d’autres pas du tout.

Et vous passez beaucoup de temps au montage ?

J’adore ça. De toute façon le montage c’est souvent là où le film s’écrit. Alors moi en fait comme je suis monteuse je pense c’est une espèce de déformation professionnelle qui fait que pendant le tournage je pense beaucoup, beaucoup au montage, énormément. Ce que je vais tourner un jour, souvent va me donner l’idée de ce que vais tourner les jours suivants en fonction de la narration.

J’essaie de prendre pas mal de temps à regarder mes rushs pendant le tournage. Parce que je sais que ça va me donner, ça me donne des idées de mise en scène.

Avec Abou il y a une mise en scène assez forte où il raconte son parcours migratoire, Abou en parle très volontiers, ce qui est très rare chez les jeunes. Et il en parle avec beaucoup d’aisance et du coup j’ai fabriqué une espèce de montage d’images qu’on projetait pendant qu’il raconte, c’est projeté derrière lui, sur lui même, parce qu’il est habillé en blanc, donc il y a des images noir et blanc. J’aime beaucoup ça. C’est un synchronisme aléatoire entre ce qu’il raconte et ce qu’on voit. Il parle de lui petit, et puis à un moment, on voit un petit enfant, alors que c’est pas lui du tout, mais ça marche très bien. Ça m’est venu pendant le tournage parce que j’ai senti qu’il avait besoin d’un support de mise en scène fort.

Il aime ça et on pourrait le mettre sur une scène de théâtre. On pourrait faire un spectacle avec Abou, sur son parcours et tout, mais je ne voulais pas non plus que ça prenne trop de place dans le film. Je ne voulais pas, comment dire, c’est pas le réduire, mais le consigner toujours à ce seul rôle de jeune migrant qui va raconter son parcours migratoire et là, ça dépasse ça avec sa mode ou son Instagram.

Avatar de jean pierre Carrier

Par jean pierre Carrier

Auteur du DICTIONNAIRE DU CINEMA DOCUMENTAIRE éditions Vendémiaire mars 2016. jpcag.carrier@wanadoo.fr 06 40 13 87 83

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