Le Garçon. Zabou Breitman et Florent Vassault, France, 2024, 97 minutes
Depuis Agnès Varda nous connaissons les films jumeaux. Mais connaissez-vous les films siamois ?
Il s’agit de films qui contiennent en eux deux films. Deux films en un. Deux versions du même film. Un film double, mais qui est quand même un. Ces deux faces entretenant bien sûr entre elles des liens particuliers. Jouant un étrange ballet entre différence et unité.
Le garçon est peut-être le premier film siamois de l’histoire du cinéma. Mais cette priorité reste cependant à vérifier. En tout cas, il est explicitement double, unissant deux films différents. Mais quand même identiques, semblables. Partant d’un point commun, ils ne diffèrent que par la volonté de leurs auteurs, de leurs créateurs, deux cinéastes qui s’unissent dans un même projet, mais qui vont, chacun de son côté, développer son propre travail.
Le garçon contient donc d’une part un documentaire et d’autre part une fiction. Les deux vont s’entremêler, se répondre. Résonner l’un par rapport à l’autre pour construire son propre chemin. Ils vont donc cheminer côte à côte tout en gardant leur autonomie.
Le point de départ est le même. Un ensemble de photos de famille découvertes dans une brocante. Et parmi elles, celle d’un petit garçon qu’on peut voir grandir au fil des prises de vue étaler dans le temps jusqu’à l’âge adulte.
Qui est-il ? Quel a été sa vie ? Est-il toujours vivant d’ailleurs ? Quel était son caractère ? Comment peut-il être défini ? Enfermé dans une identité. La fiction peut imaginer toutes les réponses, construire donc un personnage qui dès le départ est appelé Jean de façon arbitraire. Et lui donner des parents, des amis, des relations et un vécu fait d’événements qu’il faut inventer, en jouant soit sur la banalité, soit sur une dimension exceptionnelle.
Le documentaire, lui, va adopter la démarche de l’enquête, réunir des indices, trouver des témoins, reconstituer les étapes d’une vie. Du découvrira peu à peu qui est ce garçon. Il s’appelle en fait Jacques. Il est décédé au moment du film. Mais on va découvrir, grâce à l’enquête, ce qu’a été sa vie, par exemple son homosexualité. Ce que la fiction n’avait pas imaginé.
Les deux faces du film, documentaire et fiction ne sont certainement pas totalement autonomes. Mais y a-t-il domination de l’une sur l’autre ? On peut dire que le documentaire influence en quelque sorte la fiction, et que celle-ci dépend en partie de ce que le doc découvre. L’autonomie de la fiction est donc relative, ce qui est une évidence lorsque l’on parle d’un film « d’après une histoire vraie », même si cette histoire n’a pas été mise en forme dans un documentaire.
Ce qui est en jeu dans le film Siamois, c’est donc le rapport au réel. Or le réel renvoie d’abord au documentaire. C’est ce qu’on appelle aujourd’hui le cinéma du Réel. Dans la fiction, il n’est pas absent, mais il reste second au sens où il vient après. La dualité fiction-documentaire n’est-elle pas d’ailleurs fondamentale, c’est-à-dire première, dans le cinéma ? Dans l’histoire, on oppose souvent Lumière et Méliès. Dans la modernité, On parle de film hybride où la fiction prend une forme issue de documentaires (Varda encore) et où le documentaire a tendance à se présenter et à se dérouler comme une fiction. Il y a donc alors une influence réciproque. Loin de se poser et donc de s’exclure l’un l’autre, (si c’est une fiction, un film n’est pas documentaire et inversement). Ici, ces deux faces sont intrinsèquement liées, inséparables. Comme les êtres siamois. Comme Janus.
