Orwell, 2+2=5. Raoul Peck, France-Etats Unis, 2025, 119 minutes.
Et vous, si on vous demandait avec insistance, en utilisant, si vous résistez, des moyens frappants, vous n’affirmeriez jamais que 2+2=5. La vérité a-t-elle besoin d’arguments incontestables ? Et d’ailleurs, qu’est-ce que la vérité ? Le pouvoir, Les pouvoirs n’ont-ils pas toujours raison ?
Le film que Raoul Beck consacre à l’auteur de 1984 est d’abord un hommage à l’écrivain. Mais c’est aussi une illustration historique de sa pensée, une affirmation, tout simplement évidente, que nous vivons bien et depuis de nombreuses années dans le monde de Big Brother, c’est-à-dire sous le règne du pouvoir absolu d’un seul. La dictature est partout. Presque. Elle finira par triompher sur l’ensemble de la planète.
Peck nous donne à entendre la parole d’Orwell, en voix off, tout le long du film. Une voix sombre, monocorde, presque inexpressive. Il s’agit du journal d’Orwell, un journal écrit une bonne partie de sa vie, une vision de l’histoire des plus noire.
Les images du film sont-elles alors des illustrations de ce texte ? Pas seulement. Peck ne cherche pas à coller à la lettre aux propos d’Orwell, il se place plus simplement sous son autorité. Il construit un édifice visuel spectaculaire qui passe systématiquement en revue toutes les formes de dictature qui ont jalonné notre histoire, et pas seulement dans les temps modernes.
Dans ce panorama, le 20e siècle occupe bien sûr la plus grande place, mais nous voyageons bien au-delà des défilés nazis où l’on marche ou pas de l’oie. Et nous n’en restons pas aux foules soumises, bras tendu. La dictature n’a elle pas toujours existé ? N’est-elle pas par essence une tendance à l‘universel ?
Le travail de peck est considérable. Aucune image du pouvoir ne lui a échappé. Et il semble prendre un malin plaisir à nous les asséner. Nous sommes plongés jusqu’au cou dans les discours des dictateurs. Devant des foules fanatisées. On en saurait nous-mêmes, spectateur consentant, comme considéré. À ne plus pouvoir respirer librement. L’air pur de la liberté ayant tout simplement disparu de l’horizon.
Que nous donne-t-on à voir, exactement ? Impossible de faire un inventaire exhaustif. Toute tentative de dresser, en tant que spectateur, le déroulé du film est voué à l’échec. Au mieux, on ne pourrait repérer que les images les plus frappantes, les plus connues, celles que nous avons vues. 1000 et 1000 fois. Nous ne nous y attarderons pas ici. Disons simplement que Peck cherche visiblement à provoquer une overdose et il y réussit parfaitement. On sort du film avec la tête débordante de ces images d’horreur, des images de guerre, de torture, de feu et de sang, mais aussi des images plus propres en apparence, mais tout aussi nocives parce qu’insidieusement sournoises. La terreur peut s’avancer masquée.
Des images de totalitarisme, nous en voyons tous les jours à la télévision, et pas seulement depuis l’élection de Trump, même si ce dernier est très présent dans le film et vise à nous abrutir, à nous faire accepter tout et n’importe quoi. Ne serait-il pas facile d’être encore plus orwellien qu’Orwell.
Peck nous pousse plutôt à prendre du recul. À garder les pieds sur terre, une terre où il saurait encore possible de réfléchir, de penser et de croire à la liberté et à la démocratie.
L’île de Jura, en Écosse, ou Orwell passa les dernières années de vie devient alors le symbole de la paix. Un refuge vis-à-vis de la terreur du monde.
Festival du Film d’Histoire, Pessac, 2025.

