Polluting paradise. Fatih Akin. Turquie, 2012, 98 minutes.
Un village sur la côte de la Mer Noire en Turquie, un village qui a tout pour être un paradis sur terre, avec ses vues sur la mer et ses jardins en terrasses où l’on cultive le thé. Un village calme et paisible, sans histoire, jusqu’à l’arrivée de la décharge.
La gestion des déchets, des déchets de plus en plus importants quantitativement, pose des problèmes qui sont loin d’être résolus. En Turquie comme ailleurs. La construction de décharge n’est certes pas la solution qui préserve au mieux l’environnement. Dans le village où est tourné le film, Camburnu, l’opération tourne vite à la catastrophe, malgré les engagements pris par les responsables. Les promesses faites aux villageois pouvaient-elles d’ailleurs être tenues ? Qu’est-ce qui est fait pour éviter les infiltrations d’eau polluant la nappe phréatique. Et en cas de forte pluie, comme c’est fréquent dans la région, ne pouvait-on pas penser qu’elles entraineraient des boues ou d’autres substances toxiques jusqu’à la mer ? Le film montre ces torrents d’eaux noires que les responsables locaux de la décharge regardent impuissants. Cette inertie se retrouve d’ailleurs à tous les étages du pouvoir. Sauf le maire de la commune, filmé dans son bureau, et qui détaille tout au long du film les actions qu’il a pu entreprendre depuis le lancement du projet. Mais lui aussi se révèle impuissant face à des enjeux financiers et politiques qui le dépassent largement. Un petit village perdu, quelques paysans, cela ne pèse pas bien lourd.
Ces villageois, pourtant, essaient de résister. Sans action spectaculaire, par leur seule présence. Une présence qui dit simplement qu’ils existent et qu’ils veulent vivre dans leur village comme ils ont toujours vécu, comme leurs ancêtres ont toujours vécu. Cet enracinement dans une terre est un des points forts du film. Le réalisateur est d’ailleurs lui-même originaire du village. Et l’on sent son attachement très sensible à ses racines. Le film contient des entretiens menés avec quelques uns de membres de cette petite communauté choisie comme représentatifs de sa vie et des évolutions, des bouleversements plutôt, qu’elle connait. Le maire en premier lieu, toujours bien habillé, avec chemise blanche et cravate, qui reçoit le gouverneur et sa suite avec une certaine déférence, mais qui n’a pas hésité à courir le risque d’être trainé en justice pour « entrave aux intérêts de l’Etat ». Nous rencontrons ensuite Sabahat et Suna, deux sœurs qui ont repris la plantation de thé de leur père et qui n’entendent pas arrêter cette exploitation. Par contre, Azize et Furkan, deux cousins, ont quitté le village pour Ankara et Istanbul. Pour eux, la terre de leurs parents ne représente plus un avenir. Et puis, il y a tous ces habitants du village, le photographe amateur qui apprendra à filmer pour assister le réalisateur, ou la vielle dame qui décédera avant la fin du tournage. Nous les suivons dans leur vie quotidienne et dans leur désespoir grandissant devant la dégradation de plus en plus important de la situation, de la pollution de l’eau potable à la puanteur qui va bien au-delà des abords immédiats de la décharge. Mais les énormes camions chargés de déchets arrivent toujours à Camburnu.

Le film a été réalisé sur une période de cinq ans. Cette durée est bien sûr essentielle pour appréhender toute l’ampleur du problème. Le réalisateur ne propose pas de solutions. Mais éveiller les consciences, comme le cinéma peut effectivement le faire, est aussi un enjeu important.
