Marina Abramovic. The artist is present. Matthew Akers. Etats Unis, 2012.
Marina Abramovic, « la grand-mère de la performance », est une artiste d’origine serbe mondialement connue et reconnue pour ses créations, des « performances », dans lesquelles elle a toujours mis en jeu son propre corps, souvent de façon violente. Provocation ? Sans doute lorsqu’elle dessine avec des lames de rasoirs des croix sur son ventre ou qu’elle s’allonge au centre d’une étoile en feu. Dans cette dernière situation d’ailleurs, elle s’est évanouie, à la limite de l’asphyxie. Mettre son corps en danger, et sa vie, est-ce de l’art ? La question lui a sans cesse été posée tout au long de sa carrière. Elle s’étonne qu’il soit arrivé un moment où plus personne ne la lui pose. Plus que son succès international, c’est cette reconnaissance qui est fondamentale pour elle.
A 63 ans, Le Moma, le prestigieux musée de New York, lui consacre une rétrospective en lui confiant tout son sixième étage. Elle y installera cinq de ses plus célèbres performances « interprétées » par de jeunes artistes. Mais surtout, elle t créera une performance inédite, intitulée The artist is present, dans laquelle, pendant les trois mois que durera l’exposition, chaque jour aux heures d’ouverture du musée, elle restera assise sur une chaise placée au centre d’une vaste pièce, face à une autre chaise sur laquelle viendront s’assoir, pour un quart d’heure, les visiteurs qui le souhaiteront. Elle ne bougera pas et la personne qui sera en face d’elle ne devra pas non plus faire de mouvement. Tout se jouera dans l’échange de regard. C’est la préparation et la réalisation de cette exposition que montre le film. La reprise du titre de la performance indique clairement que celle-ci y occupera une place déterminante.

La première partie du film est une présentation de la vie et de l’œuvre de l’artiste. Des critiques d’art, des galeristes, des personnes influentes dans le domaine de l’art contemporain, dégagent dans de courtes interventions la signification et la portée des performances de l’artiste, ses relations avec le public, son implication totale dans ses créations, l’impossibilité de distinguer son art de sa vie. Marine évoque un peu son enfance, parle beaucoup de sa mère. Mais le film évoque surtout longuement ses relations avec son compagnon, Ulay, dont elle a été longtemps profondément amoureuse et qui est devenu le partenaire indispensable de ses performances. Le film donne la parole à Ulay et c’est lui qui retrace les étapes de leur vie commune. Au moment de l’exposition de New York, il y a 23 ans qu’ils sont séparés. Le film met en scène leurs retrouvailles comme un événement théâtral.

Tout sera-t-il prêt pour l’ouverture de l’exposition ? Egrenant le déroulement du temps, le film crée un suspens un peu factice puisque nous savons bien dès le début que l’exposition a bien eu lieu, ce que d’ailleurs montrait le pré-générique du film. Mais le cinéaste insiste sur la nécessité d’une préparation physique et morale de l’artiste pour qu’elle puisse réaliser sa performance, le terme prenant alors au passage le sens d’exploit extraordinaire. Marina, malade, n’a pas quitté son lit pendant presque une semaine. Cinq jours avant l’ouverture, rien n’est prêt. C’est l’affolement général. Mais bien sûr tout se passera bien, et le succès sera au rendez-vous. 750 000 personnes ont visité l’exposition qui est devenue l’événement médiatique de l’année. Tous ces visiteurs n’ont pas eu la chance de pouvoir s’assoir face à Marina. Pourtant, beaucoup aurait donné cher pour pouvoir faire partie des élus. Les derniers jours, c’est la folie. On campe devant le musée et à son ouverture, c’est la bousculade générale. Le réalisateur d’ailleurs en rajoute en utilisant des effets d’accéléré un peu grandiloquents.

Reste la performance The artist is present. Il est remarquable que le public ait véritablement et sincèrement joué le jeu, le film ne montrant que deux cas où le service de sécurité a dû intervenir. Les gros plans sur le visage de Marina montrent sa détermination. Elle a les yeux fermés quand la personne vient s’assoir en face d’elle. Elle les ouvre lentement pour entrer en contact avec elle et une sorte de magie opère immédiatement. Le filmage renforce cette mise en relation en isolant les deux acteurs du reste de la salle. Pendant les premiers mois, une table séparait les deux chaises. Marina la fera enlever pour supprimer ce qui marquait encore une séparation. Toute la fin du film montre les visages de ces femmes, de ces hommes, de ces enfants, qui vivent là une expérience unique. Les yeux se mouillent, des larmes coulent sur les joues, des sourires s’esquissent. Certains posent leur main sur le cœur. Les gros plans réussissent à capter cette émotion, même si le spectacle reprend ses droits lorsque c’est Ulay qui vient s’assoir face à Marina. Leurs mains se rejoignent et la foule présente dans la salle applaudit longuement.
Le film, à l’image de l’artiste Marina Abramovic, est un mélange de sincérité et de jeu, de sentiments authentiques et d’apparence. Il montre en tout cas que l’art contemporain est plus complexe qu’on peut le croire et que l’émotion n’en est pas toujours absente.

