Au Clémenceau. Xavier Gayan, 2023, 84 minutes.
Le bar-tabac (ou le bistrot comme on dit en campagne ou dans les quartiers plus populaires) est une institution bien française. Un lieu de rencontres, un lieu de vie -ou de survie- indispensable pour beaucoup. Pour ses habitués en tout cas. Ceux qui passent le matin en allant au boulot pour boire un petit café. Ceux qui repassent en sortant du boulot pour boire un pastis. Et tous ceux qui ne travaillent pas, ou plus, qui trouvent là à tromper leur désœuvrement et leur ennui, ou du moins qui vont avoir quelqu’un à qui parler et pouvoir donc raconter leur vie, leurs souffrances et leur désillusion (reste-t-il de l’espoir ?)

Au Clémenceau, le nouveau film de Xavier Gayan, est un film d’immersion totale. Nous ne sortons de ce bar tout ce qu’il y de commun que pour quelques plans de respiration sur la mer, puisque nous sommes à Hyères, une ville moyenne en bordure de Méditerranée, qui ici ne semble pas du tout envahie par les touristes. Il doit être alors bien facile de filmer les habitués du lieu, qui ne demandent que de parler au cinéaste et donc à la caméra, certains ayant un petit côté cabotin, presque exhibitionniste, accentué sans doute par l’alcool. Car n’oublions pas que nous sommes dans le midi, au pays de la pétanque et du pastis.
L’alcoolisme, il ne peut donc pas ne pas en être question, ne serait-ce que sur le mode du déni. Non, on n’est pas alcoolique, ou alors on est guéri puisqu’on a été soigné. Pourtant les voix sont souvent empâtées, hésitantes ou répétitives. Mais dans l’effervescence générale, personne n’y prête attention. Aux heures de pointes, le pastis a remplacé la bière, et les grandes déclarations véhémentes, les confidences sur des épisodes de sa vie qu’on voudrait bien oublier. Généralement tout le monde s’efforce d’éviter les sujets politiques, même si certains ne cachent pas leur vote Rassemblement National. Mais s’il y a bien une certaine violence dans les relations, elle reste quand même purement verbale. Au fond, les piliers d’un même bar ont bien trop de choses en commun pour se faire la guerre.

Au Clémenceau, il n’y a que des hommes. Dans le film de Gayan, les femmes ne rentrent dans le bar que pour acheter des billets à gratter. Pourtant on sait bien que l’alcoolisme féminin existe bel et bien. Mais le bistrot reste traditionnellement un lieu réservé aux hommes. Ce qui n’a rien d’une découverte sociologique. Pourtant, le film nous propose un entretien avec Neige, qui tenait le Clémenceau avant le barman actuel, George. Elle insiste beaucoup sur la dureté du métier, mais aussi et c’est plus original – surtout par rapport aux propos de de son successeur – sur son rôle quasi social, de contrôle des excès, n’hésitant pas à renvoyer chez eux, ceux qui ont déjà dépassé la limite raisonnable. George lui se décharge de toute responsabilité dans une philosophie du libre-arbitre bien naïve.

Au Clémenceau ne se présente pas comme une recherche sociologique, mais on peut dire que c’est un film entièrement sociologique. Plongeant dans une réalité proche de tout un chacun – même si beaucoup font tout pour l’ignorer – il joue un rôle, non de révélateur, mais plutôt de confirmation de certaines idées reçues, (sur cette France dite populaire) qu’il importe enfin de savoir regarder en face.
