Confinement.

(A)nnées en parenthèses. 2020 2022. Hejer Charf, Canada, 2023.

La pandémie et le confinement, partout dans le monde, les rues des villes vides, tristes, désolées. Des images que l’on a beaucoup vues. Mais qui restent toujours surprenantes. Et souvent émouvantes. Mais à Montréal, les rues ne sont pas vraiment vides. A Montréal la vie ne s’arrête pas. A Montréal on continue de manifester dans les rues. Pour soutenir la lutte des noirs en Amérique, ou celle des Algériens, et aussi celles des autochtones canadiens. C’est que les occasions de se révolter ne sont pas mises en pause. Surtout ne pas les mettre en parenthèses. Continuer de s’indigner, de dénoncer l’injustice, de ne pas accepter l’inacceptable. A Montréal, on continue de faire du cinéma engagé.

Hejer Charf nous livre « son » confinement, dans un film tout à la fois poétique, politique et philosophique. Un film qui brasse les cultures, qui les fait se rencontrer. On passe du Québec au Moyen Orient, des États Unis au Liban, et en Algérie, en Tunisie, en Égypte. Et la liste n’est pas close. Un film d’une richesse culturelle étonnante, par le nombre de références et de citations, mais surtout par sa profondeur de pensée. Un film qui est un essai donc, c’est-à-dire un film qui pense. Et c’est peu dire qu’il fait penser. Exigent certes. Mais qui sait allier le plaisir et la rigueur. Et l’émotion est au rendez-vous. Oui, il s’agit bien de cinéma.

Le dispositif que met en place la cinéaste québécoise d’origine tunisienne est ingénieux, mais simple. Par temps de confinement on pourrait dire qu’il coule de source. Grâce aux moyens modernes de communication, les réseaux sociaux en première ligne, il est possible de solliciter ses ami.e.s, ses connaissances, ses contacts, ses rencontres d’un jour ou d’une lecture, ou d’un film, ou d’une chanson. Leur demander d’envoyer un message, un signe de vie, une pensée, une simple phrase ou un long développement. Une victoire sur l’isolement du confinement.

Il n’est pas possible de retenir lors d’un seul visionnement, toutes ces correspondances. Est-il utile alors de n’en citer que quelques-unes ? Chaque spectateur fera son choix, en fonction de ses connaissances et de ses intérêts. Mais soyons sûrs que tous auront des surprises, tous feront des découvertes, car un tel film est l’occasion rêvée d’élargir sa propre culture, toujours trop étroite.

Dans ce jeu de références, l’apport propre de la cinéaste consiste à inclure des hommages aux disparu.e.s de ces années de pandémie. Car le Covid a tué, et de façon bien inégalitaire. Alors on retrouve ici ces disparu.e.s inconnu.e.s ou oublié.e.s des médias, comme cette jeune native qui de toute évidence a manqué de soins.

Dernier hommage, celui à Godard, qui termine le film, comme un point d’orgue concernant le cinéma. Godard n’est pas une victime du Covid, puisqu’il a fait appel au suicide assisté. En signe d’adieu au cinéma, il envoie un message à un festival en Inde, son dernier scénario. Une page blanche ? Quelques images. Le mystère reste entier.

Le confinement a sans doute mis en parenthèse bien des choses, à commencer par les contacts sociaux. Mais reste le cinéma et les rencontres qu’il permet encore de faire. Comme cet SDF avec qui Hejer Charf discute dans la rue. Une leçon de modestie et de respect de l’autre. Comme tout le film.

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Par jean pierre Carrier

Auteur du DICTIONNAIRE DU CINEMA DOCUMENTAIRE éditions Vendémiaire mars 2016. jpcag.carrier@wanadoo.fr 06 40 13 87 83

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