Regard neuf sur Olympia 52. Julien Faraut, 2013, 82 minutes.
Un film sur un film. Sur un premier film. Sur le premier film de Chris Marker. Comment a-t-il été réalisé ? Dans quelles conditions ? Et qu’n pense le réalisateur bien des années après ? Chris Marker lui-même n’a-t-il pas renier son film ? Ou du moins le mettre à l’écart. L’oublier. Du coup, le film n’a pratiquement pas été diffusé, en dehors de séances militantes et éducatives dans un cadre associatif. Alors, en quoi cet Olympia 52 est-il un film de ce Chris Marker que nous connaissons aujourd’hui, celui de la Jetée et de Sans Soleil ou du Fond de l’air est rouge ? Trouve-t-on dans ce premier essai cinématographique la marque de son auteur, qui annoncerait l’œuvre qui va suivre ?
Regarder Olympia 52, comme le fait Julien Faraut, est plus qu’un regard d’historien du cinéma ou d’analyste du sport. Non seulement il demande comment filmer le sport, et les JO en particulier, mais il pose la question la plus fondamentale qui soit : qu’est-ce que faire un documentaire. Est-il étonnant que Chris Marker, dès son premier film, nous aide à répondre à cette question ?
Le film de commence par un regard (aujourd’hui plus très nouveau) sur les activités de Marker avant son entrée en cinéma. Il écrit et publie un roman, il fait des articles dans des revues, il dirige une collection chez un éditeur, il écrit un essai sur Giraudoux. Et tout ceci tout en étant engagé dans le monde associatif, du côté de l’éducation populaire en particulier. C’est avec Peuple et Culture que va naître le projet d’un film sur les Jeux Olympiques, qui sera co-produit par la Direction Générale de la Jeunesse et des Sports.
Et c’est ainsi que Marker arrive à Helsinki deux jours avant l’ouverture des jeux de 1952.

Le premier intérêt du film de Faraud est de nous montrer de larges extraits du film de Marker et par là de nous permettre d’apprécier tout l’art du filmage en direct chez un cinéaste qui travaillera souvent par la suite sur des archives. Sa façon de placer la caméra, ses cadrages, son montage et le lien des images avec le commentaire. Mais il insista aussi beaucoup sur les conditions qui sont celles dans lesquelles Marker travaille. Il n’a pas accès à la piste, il doit se faire une place dans la foule des tribunes. Il ne peut certainement pas rivaliser avec les équipes, notamment de télévision, qui ont une accréditation officielle. Et puis Olympia 52 connaîtra une naissance plutôt difficile. Un vrai roman cinématographique.
Il a existé un nombre important de versions du film de Marker. Toutes d’une durée différente. Marker avait ramené d’Helsinki beaucoup d’images. Et pas seulement des images des compétitions sportives. Il s’éternise tout autant sur les à côté des épreuves, sur ce qui se passe à l’entrainement ou dans les vestiaires. Et surtout il filme la foule des tribunes. Des gros plans de visages d’hommes, de femmes, d’enfants, tous attentifs et passionnés. Il filme même la ville et les marques des Jeux dans la réalité urbaine, les anneaux olympiques présents partout, dans les vitrines des magasins et les publicités. Tout cela ne va pas forcément plaire aux commanditaires du film.

Nous prenons alors connaissance d’un grand nombre de lettres reçues par Marker, lui demandant de ne pas faire un film de plus d’une heure 30. Et donc de couper dans son premier montage. Comme dans les suivants d’ailleurs. De couper ce qui risque de faire trop long, des série des courses à la concentration des sauteurs. Et tout ce qui ne concerne pas directement le sport et ses compétitions. Marker vit cela comme de la censure. Il n’accepte pas qu’on lui dicte ce que doit être son film. Il refuse de couper le moindre mot du commentaire. Surtout si ce mot est chargé de sens (« pauvre » par exemple à propos d’un athlète disparu « pauvre et oublié ») Tout ceci montre bien que le cinéaste n’est pas un auteur entièrement libre de ses décisions et de son travail. Marker aura d’ailleurs très vite, après Olympia 52, affaire encore plus directement à la censure puisque le film qu’il réalise avec Alain Resnais, Les statues meurent aussi, traitant et dénonçant le colonialisme français, sera totalement interdit pendant de longues années.
Marker n’apparaît pas dans le film. Pas d’image bien sûr. Et même la voix qui lit des extraits de ses lettres et de ses déclarations est une voix artificielle pour qu’on ne risque pas de penser qu’il s’agit réellement de la sienne. Sa présence est pourtant bien réelle, mais d’une tout autre manière. Car l’esprit de Marker imprègne tout le film, toutes ses images, tous ses commentaires. Preuve s’il en est besoin, cette séquence où un « critique » répond deux fois à chaque question qui lui est posée. Une réponse négative ; une réponse positive. Marker est-il un grand cinéaste ? Certainement pas / bien sûr que oui.

