SDF

300 Hommes. Aline Dalbis et Emmanuel Gras. France 2013, 88 minutes

Ils sont nombreux, très nombreux, 300 personnes à loger là, parce qu’ils n’ont pas d’autres possibilités pour échapper à la rue glaciale de l’hiver. Que des hommes, de tout âge. Ceux qu’on a l’habitude de considérer comme les laissés pour compte de la vie. Le centre d’hébergement de nuit Saint Jean de Dieu à Marseille affiche souvent complet. Le 301é ne sera pas accueilli. Règlement oblige. Mais ce ne sera certainement pas facile de le laisser à la rue, dans le froid, sans solution pour passer la nuit.

Le film d’Aline Dalbis et Emmanuel Gras est une immersion dans ce centre d’hébergement dont il nous fait partager la vie quotidienne, surtout pendant les soirées. Il ne s’agit cependant pas pour eux d’observer et de donner à voir les côtés cachés de cette institution comme le ferait un Wiseman. Sans commentaire, sans explication d’aucune sorte, le film est explicitement focalisé sur les hommes. Mais il ne s’agit pas non plus de proposer une analyse sociologique. Qui sont-ils ? Comment sont-ils arrivés là ? Ce n’est pas ce qui intéresse les deux cinéastes. Ils se contentent, mais leur travail est suffisamment maîtrisé pour accéder à une cohérence parfaite, de saisir sur le vif la vie de cette communauté artificielle. La caméra se perd dans la longue file de ceux qui se rendent à la cantine. Elle se fait discrète dans les chambres où chacun essaie de s’organiser au mieux pour passer la nuit. Tout semble organisé, réglé, et pourtant les problèmes surgissent à tout bout de champ. Des problèmes que ceux qui travaillent là ont bien du mal parfois à gérer.

Frère Didier semble occuper une place importante parmi ce personnel. C’est lui qui doit fermer la porte au nez de ceux qui arrivent en retard, refuser l’entrée lorsque l’établissement affiche complet. C’est lui qui fait les annonces collectives, qui organise la désinfection des chambres. On le rencontre au début du film en prière dans la chapelle. Trouvent-ils là la force nécessaire pour affronter les difficultés relationnelles qui sont monnaie courante entre les hommes ? La violence entre les hébergés est continue. Les insultes fusent simplement parce qu’on se retrouve les uns en face des autres. Les menaces suivent et on en vient aux mains parce qu’il faut s’imposer dans le groupe. Vivre ensemble n’est décidément pas chose facile lorsque le simple fait de vivre ne va pas de soi. Le respect du règlement est tout aussi problématique. Pas d’alcool, pas de tabac dans les chambres. Mais on peut toujours ruser pour contourner l’interdiction. Accepter le fouille à l’entrée, vider ses poches à la demande, est toujours désagréable. Pourtant tous savent que la Loi ici est stricte et qu’elle sera appliquée dans toute sa rigueur.

Le film oscille entre l’expression de la détresse et les moments où il existe quand même un peu de chaleur humaine dans la vie commune. D’un côté l’impasse semble totale, comme pour cet homme qui avoue son alcoolisme et son incapacité à s’en sortir. Les traitements ne servent à rien, dit-il, puisqu’à la sortie de la cure il sait qu’il se remettra aussitôt à boire. D’autres moments sont plus détendus. On discute du programme télé du soir. Il faut choisir quelle émission sera regarder collectivement. Une chaîne programme La Grande vadrouille. « On en a mangé tous les ans », dit un homme plutôt jeune. Il préfère passer à autre chose.

Le centre d’hébergement Saint Jean de Dieu est un lieu clos. Ce n’est pas une prison, mais les portes sont fermées à clef et la nécessité de respecter les interdictions ne peut que limiter la liberté individuelle. Pourtant beaucoup semblent accepter cet état de fait comme une chance qui leur est offerte de pouvoir continuer à vivre et de ne pas sombre dans le désespoir absolu.

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Par jean pierre Carrier

Auteur du DICTIONNAIRE DU CINEMA DOCUMENTAIRE éditions Vendémiaire mars 2016. jpcag.carrier@wanadoo.fr 06 40 13 87 83

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