Parcours Documentaire – Jean-Stéphane Bron.

La Suisse – Cleveland – L’Opéra de paris : trois étapes documentaires de Jean-Stéphane Bron

La Suisse

Claude Muret a été fiché pendant plus de 13 ans par la police fédérale suisse, comme ses camarades de la Jeunesse Progressiste Vaudoise ; comme tous les jeunes gauchistes croyant en la possibilité de la Révolution dans les années 60-70 ; comme tous les militants politiques sans doute, surtout s’ils sont de l’opposition ; comme tous les suisses peut-être, ou du moins une grande partie d’entre eux. Des fiches précises, détaillées, ne laissant de côté rien des activités politiques des intéressés, mais aussi de leurs activités quotidiennes, leur vie de tous les jours, familiale et affective. On a du mal à imaginer le nombre considérable de ces fiches, ni même à quoi elles peuvent être utiles. En dehors de cette paranoïa généralisée qui soutient que la sécurité d’un pays dépend uniquement de ses services de renseignement. Big Brother existe aussi en Suisse.

Connu de nos services. Suisse, 1997, 60 minutes.

Automne 2001. Une commission de 25 parlementaires se réunit au palais fédéral pour élaborer un texte de loi concernant le génie génétique. Cette loi, nommée Gen Lex, représente des enjeux fondamentaux au niveau de l’environnement, de la consommation, de la recherche et de l’industrie. On peut prédire que ce ne sera pas facile.

         Le film de Bron nous introduit dans les coulisses du travail de la commission, c’est-à-dire dans les couloirs menant à la salle où elle se réunit, mais restant devant la porte close, puisque les débats de la commission doivent rester secrets. Ce qui n’empêchera pas tous les participants de venir devant la caméra exposer ce qui se déroule dans ce secret.

         La seconde partie du film nous conduira à l’assemblée réunit en plénum pour voter la loi. Dans les deux cas, nous sommes au cœur de l’exercice du pouvoir politique. Nous suivons les transactions entre les partis, les revirements d’alliance, les changements de positions personnelles. Il en ressort une première impression qui ne sera aucunement démentie : en politique, rien n’est joué d’avance.

Le Génie helvétique. Suisse, 85 minutes

Le film retrace bien la carrière personnelle, politique et industrielle de Blocher. Il évoque sa jeunesse, son père pasteur, et le village de son enfance. Il entre bien dans son intimité, dans sa maison au petit déjeuné et même dans sa chambre à coucher. Il le suit dans les meetings électoraux, dans ses succès et ses échecs politiques, même si son action au parlement et surtout au gouvernement reste systématiquement hors champ. Tout ceci correspond bien à la forme du portrait tel qu’on en voit tant à la télévision. Mais le film de Bron ne donne pas vraiment la parole à Blocher. Il introduit en effet dès les premiers plans, une voix off, celle du cinéaste, qui ne constitue pas un commentaire sur sa carrière, qui ne vise pas à dire ce qu’il faut penser de l’homme au-delà du personnage politique. Cette voix s’adresse directement au personnage filmé, pour dire comment le cinéaste le perçoit le personnage et son action. Sous l’apparence du portrait, le film nous propose une interpellation des idées politiques d’un chef de parti. Il pointe le danger que représentent selon lui ces idées. Quant à l’homme Blocher, il le présente comme entièrement convaincu, sans l’ombre d’une hésitation, de la véracité des idées qu’il défend, des thèses populistes, intolérantes et xénophobes, telles qu’on les retrouve soutenues par tous les partis d’extrême droite en Europe. Et c’est sans doute pour cela, parce qu’elles apparaissent d’abord comme sincères, qu’elles ont tant d’impact sur la population à qui elles s’adressent.

L’Expérience Blocher, Suisse, 2013,100 minutes.

Cleveland

Cleveland, Ohio, USA. Une ville sinistrée. Ravagée par la crise des subprimes. Des milliers de familles expulsées de leurs maisons. Des quartiers entiers dépeuplés. Les plus pauvres, bien sûr. Les longs travellings le long des rues, montrant les maisons aux fenêtres barricadées et aux murs recouverts de tags suffisent à montrer l’ampleur du désastre. Alors, que faire ?

         Cleveland, la ville, a décidé justement de ne pas se laisser faire. Elle intente un procès contre Wallstreet. Plus exactement contre 21 banques de la capitale mondiale de la finance. Combat disproportionné, perdu d’avance ? Les banques aussi ont décidé de ne pas se laisser faire. Et elles ont les moyens de ne pas se laisser faire. A coups de procédures leurs nombreux avocats entravent la marche de la justice. Le procès est sans cesse repoussé, renvoyé à une date ultérieure. Aura-t-il vraiment lieu un jour ?

         Et c’est là que le cinéma intervient. En la personne d’un cinéaste d’origine suisse (l’autre pays des banques !) Jean-Stéphane Bron. Alerté par l’intention de Cleveland, il se rend sur place, rencontre les différents protagonistes, se prépare à filmer le procès. Il attend, patiemment. Attente longue, incertaine. Inutile ? Et c’est alors qu’il a un éclair de génie. Puisque le procès n’a pas lieu, il va en organiser un pour son film. Un procès de cinéma, en référence à une riche tradition américaine. Un procès pour de faux. Mais avec un vrai juge, de vrais avocats, de vrais témoins, un vrai jury. Tous acceptent l’idée. Tous vont y participer avec enthousiasme. Non pour jouer leur propre rôle, mais être leur propre rôle. Tous se comportent comme dans un vrai procès. Depuis le serment de dire la vérité, jusqu’à la façon de s’adresser au juge ou de répondre aux avocats et jusqu’à la délibération finale. Une mise en scène précise et rigoureuse de l’exercice de la justice américaine.

Cleveland contre Wall Street. Suisse, France • 2010 • 105 minutes

L’Opéra de Paris

Le film de Bron porte sur l’Opéra de Paris dans son ensemble, c’est-à-dire tout aussi bien la musique et l’art lyrique que la danse. Bien sûr une telle institution, véritable porte drapeau de la culture française (et ce n’est pas un hasard si le premier plan du film de Bron se situe sur le toit du Palais Garnier, au moment où justement deux hommes hissent le drapeau français), mérite tout à fait cette attention. Avec ses deux théâtres, Garnier et Bastille, il reste encore sans doute bien des recoins à explorer. Et puis, sa vie foisonnante connaît bien des rebondissements, en dehors même des créations artistiques.

Les premières séquences donnent le ton de ce que sera le film. La réception du Président de la République sur les marches du Palais Garnier, et la soirée de gala qui suit, la conférence de presse pour annoncer la nouvelle saison, ce sera surtout la dimension organisationnelle et les relations avec la presse, et le public aussi, qui seront le cœur du film. Bron nous propose bien des séances de répétition, de l’orchestre et des chanteurs surtout ; il nous montre bien quelques extraits des spectacles, la plupart du temps filmés depuis les coulisses. Il s’arrête sur la préparation des spectacles, par exemple à propos du taureau dans Moïse et Aaron. Du coup, le directeur de l’Opéra occupe une place prépondérante dans le film : conférences de presse (à propos de la démission de Benjamin Millepied de son poste de directeur de la danse en particulier), discussion avec son équipe à propos des négociations avec les syndicats pour éviter la grève, ou pour définir une politique des tarifs des places. Il est sur tous les fronts et le cinéaste n’hésite pas à le filmer en gros plan dans les moments de tension, accentuant ainsi le poids de la charge qui pèse sur ses épaules.

L’Opéra. France, Suisse, 2017, 110 minutes

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Par jean pierre Carrier

Auteur du DICTIONNAIRE DU CINEMA DOCUMENTAIRE éditions Vendémiaire mars 2016. jpcag.carrier@wanadoo.fr 06 40 13 87 83

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