Formation à l’hôpital.

Sauve qui peut. Alexe Poukine, Belgique-Suisse-France, 2024, 98 minutes.

En 2019, Alex Poukine avait été remarquée avec un film fort, dérangeant, parfaitement maîtrisé, qui était devenu une pièce importante dans la problématique du consentement. Il s’agissait de dénoncer les violences faites aux femmes, violences prenant ici la forme de ces viols qui n’ont pas l’air  d’en être mais qui sont toujours vécus dramatiquement par les intéressées, ces actes sexuels non consentis, imposés par des hommes sûrs de leur bon droit, mais qu’il s’agit de placer face à une réalité ayant un tout autre sens, celui de l’inacceptable.

 le film Sans Frapper – un titre coup de poing – mérite sans doute de devenir un sujet de réflexion dans la formation des garçons et des filles d’aujourd’hui. Un film important donc tant il peut œuvrer à faire changer les mentalités et les comportements.

Le film suivant d’Alex Poukine traite aussi de formation de formation, explicitement cette fois. Il s’inscrit dans les problématiques actuelles concernant les métiers de santé, leur importance sociale et les difficultés qu’ils rencontrent du fait des orientations prises par les politiques publiques concernant en particulier l’hôpital. La formation professionnelle peut-elle venir au secours de ces hommes et de ces femmes de plus en plus soumis à des tensions extrêmes, bien plus qu’une fatigue généralisée et pouvant conduire au Burn out dans un système vécu comme broyant les individus, un système dit libéral ou néolibéral où ne comptent que des chiffres. Se situer au niveau de la formation professionnelle est une entrée certes originale mais, dans la problématique des politiques de santé publique, le film en montre toute la pertinence.

Il se situe d’abord au niveau de la formation initiale, concernant donc des étudiants en médecine, lors de stage en hôpital, en troisième année. Il s’agit de se centrer sur la relation avec les patients, de savoir les accueillir et les écouter pour pouvoir prendre en compte leur souffrance et donc développer cette empathie sans laquelle les actes techniques (de la prise de sang aux piqûres) peuvent très bien ne plus avoir aucune efficience. Il s’agit par exemple de recevoir une femme venue consulter un généraliste en demandant un bilan de santé. Ou bien de devoir annoncer à un homme hospitalisé en soins palliatifs le cancer dont il est atteint. Quels mots utiliser pour dire la mort inévitable ? Comment être réconfortant sans sortir de son rôle de soignant ? Des situations fréquentes qui demandent bien plus que des connaissances théoriques ou des savoir-faire techniques. Tout médecin, toute infirmière se doit d’avoir des compétences psychologiques. Tous et toutes, les professionnels de santé sont nécessairement des thérapeutes.

La formation concerne aussi les soignants dans l’exercice de leur métier, un métier nécessitant impérativement une attitude réflexive constante. Et c’est bien ce qu’il s’agit d’aider et de développer dans ces analyses de pratique, des situations souvent inattendues dans lesquelles l’urgence demande d’apporter des réponses adaptées souvent difficiles à imaginer dans l’action elle-même.

Formation initiale et formation continue utilisent la même technique théâtrale, des jeux de rôle où un comédien, ou une comédienne, joue le rôle du patient et où va être analysée, par le formateur et le groupe de formation, la réponse ou la tentative de réponse du soignant vis-à-vis d’une situation déterminée et construite au préalable en particulier avec ces comédiens spécialisés dans cette pratique. Le film nous montre donc l’effectuation concrète de cette formation. Inévitablement, débouche sur une réflexion collective d’abord, mais où chacun va être impliqué individuellement, une réflexion sur le système de santé dans lequel elle s’inscrit. On sait l’hôpital public en crise, en France comme en Suisse où se situe le film. On connaît le thème récurrent du manque de personnel. Comment l’équipe d’un service peut-il par exemple faire face lorsqu’un de ses membres est au bord de la rupture. Comment l’aider, le soutenir, et assurer en même temps la continuité du service, même s’il n’y a pas de remplaçant. La souffrance au travail est une réalité qui ne peut pas ici être nié dans les métiers de soins comme dans bien d’autres

Quelle marge de manœuvre les acteurs de la santé publique ont-ils pour faire évoluer le système ? La formation professionnelle pas n’a sans doute pas pour finalité de développer les actions politiques. Mais en aidant les individus à faire face aux difficultés du métier, elle les aide incontestablement à les surmonter et par là à les transformer, ce qui est sans doute le meilleur moyen de faire évoluer les choses.

Cinéma du réel 2024, Paris. Prix des Jeunes – Ciné+ et Mention spéciale du jury du Prix des bibliothèques

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Par jean pierre Carrier

Auteur du DICTIONNAIRE DU CINEMA DOCUMENTAIRE éditions Vendémiaire mars 2016. jpcag.carrier@wanadoo.fr 06 40 13 87 83

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