City Hall. Frederick Wiseman, États-Unis • 2020 • 275 minutes.
Boston. Massachusetts. Une des grandes villes américaines de la côte est. Une ville, sa municipalité, son maire.
Le film est une cathédrale du cinéma documentaire. Par l’ampleur de son propos, la Majesté de ses engagements. Et la magnificence de son filmage. Un monument qui rassemble les habitants. Si différents soient-ils. La victoire de l’échange et du partage sur les vues partisanes et sectaires. Et pourtant, il ne s’agit nullement de nier l’existence des multiples communautés qui cohabitent dans cette ville cosmopolite. Bien au contraire. Chaque communauté doit être respectée dans ses particularismes. Le droit de s’exprimer, de revendiquer. de contester, de proposer, sont les droits fondamentaux de tout citoyen. Quelles que soient ses origines, son genre, sa sexualité ses croyances religieuses et la couleur de sa peau. Une grande leçon de tolérance et d’humanisme.
Le film de Wiseman est le portrait du maire, Martin J Walsh, de la ville. Élu pour un deuxième mandat de 5 ans au moment du tournage. Brillant orateur, que ce soit au sein de sa municipalité de ses collaborateurs. Ou devant un public plus vaste de citoyens qui peuvent être des opposants s’adressant aux foules dans le style campagne électorale dans une des séquences finales du film.
Il n’est certes pas présent dans tous les plans, toutes les séquences, mais on sent qu’il inspire la totalité de la politique municipale. Qu’il en définit les objectifs. Et que c’est lui qui prend les décisions. Même si c’est après de multiples consultations. S’il parle beaucoup, on le voit aussi écouter, s’informer, réfléchir. Pour comprendre. La connaissance des dossiers des difficultés locales qu’elles soulèvent lui est indispensable. Il sait visiblement en faire un point fort.
Fils d’immigrés irlandais catholiques, il ne cache pas ses origines. D’ailleurs, il parle souvent de lui. Même dans ses discours publics. Comme cette séquence assez extraordinaire où il évoque cette partie de sa vie où il a sombré dans l’alcoolisme. Et comment il s’en est sorti, grâce en particulier aux Alcooliques Anonymes. On peut voir là une des caractéristiques de la vie politique américaine où la vie privée et le passé des hommes politiques ne doivent pas être mis de côté et rester tabou. Un maire n’a rien à cacher de lui-même. Il le fait avec sincérité mais sans exhibitionnisme. Après tout, il se présente toujours comme un citoyen comme les autres.
Deuxième dimension du film de Wiseman la municipalité, les services municipaux et l’ensemble de son personnel. Du premier cercle de collaborateurs et conseillers à tous les employés qui travaillent à recevoir le public. L’immersion dans les arcanes du pouvoir local est totale. Le maire n’hésite pas d’ailleurs à évoquer ses liens avec l’extérieur, l’Etat de Massachusetts et le pouvoir fédéral à Washington. Elu démocrate il a des connaissances et des appuis dans l’administration Obama. Ce qui ne sera plus le cas après l’élection de Trump. Mais le maire et son équipe sont parfaitement convaincus de la justesse de leur engagement et des positions qu’ils prennent. Œuvrer à l’amélioration de la vie quotidienne de tous les citoyens n’a rien ici d’un slogan démagogique.
Les grands thèmes de cette politique profondément démocratique apparaissent successivement dans les activités municipales, en petit comité autour du maire ou en commissions officielle et en réunion publique aussi. La sécurité est en première ligne avec les problèmes liés à l’immigration. La lutte contre le racisme devient une priorité comme la lutte contre la pauvreté et la faim. Les problèmes financiers ne sont jamais laissés de côté, mais en fin de compte c’est la dimension morale qui dicte les solutions. La vie municipale filmée par Wiseman nous montre à Boston la démocratie en marche.
Reste la ville dans son ensemble, dans toutes ses dimensions, tous ses quartiers, une multitude de rues, de bâtiments, d’espaces verts, de commerce et de boutiques. Des petites maisons d’habitation pas toujours luxueuse et d’autres plus cossues. Wiseman filme la ville à chaque passage d’une réunion à l’autre, ce qui ne sert pas seulement de respiration entre les moments de discours dominant. Il s’agit aussi de donner de la chair à la vie des habitants de Boston. Wiseman multiplie les plans, en contre-plongée le plus souvent, sur les façades des buildings, jouant avec les reflets et la lumière. Mais il filme aussi les rues et la circulation, s’arrêtant souvent sur les petits commerces et leurs enseignes. Le port n’est pas oublié, ce qui nous vaut de magnifiques plans d’ensemble, les seuls du film. Bref le film sait parfaitement exploiter l’ensemble du paysage urbain.
A une époque où la nature et la vie rurale est de plus en plus mise en point de mire et érigée on valeur suprême de l’avenir, le film de Wiseman n’est pas seulement une défense et une illustration de la vie urbaine – sans aller dans le sens d’une critique de la ruralité. C’est aussi et surtout une glorification de la vie politique lorsqu’elle ne met au service de tous sans distinction. Le vivre ensemble convivial et chaleureux a une bonne place dans le film. Lors des fêtes traditionnelles comme Thanksgiving ou les manifestations officielles comme le 11 novembre et la célébration des vétérans de toutes les guerres. Situation qui sont bien sûr l’occasion de discours du maire, mais Wiseman le montre aussi dans une assemblée de quartier où il aide à servir les repas aux invités handicapés.
City Hall fait partie des films longs de Wiseman, plus de quatre heures. Mais on se dit qu’il faut bien ce temps pour ne pas en rester à la surface des choses. Par son ampleur il acquiert une portée sociologique et historique indéniable.
Avec City Hall Wiseman s’impose une fois de plus comme le phare du cinéma documentaire contemporain.
