Restaurant étoilé.

Menus-plaisirs. Les Troisgros. Frederick Wiseman, 230 minutes

Décidemment, Frederick Wiseman est bien le plus français des cinéastes américains. Après avoir filmé l’Opéra de Paris, la Comédie française et même le Crazy Horse, voila qu’il s’attaque à un autre monument de la culture nationale, la gastronomie !

Mais n’importe pas laquelle. Un restaurant triplement étoilé, Le Bois sans feuille, une famille de cuisiniers -une véritable dynastie – les deux autres restaurants créés par les enfants, un hôtel…le tout situé dans la Loire, près de Roanne, une région enchanteresse par la grâce de ce fleuron de la gastronomie française mondialement connue depuis quatre générations.

Fidèle à sa méthode, Wiseman nous immerge dans ce qui est une véritable entreprise, de la cuisine étincelante où s’affaire une troupe de cuisiniers tout de blanc vêtus et chapeautés de la traditionnelle toque (à l’exception des chefs Troisgros) à la vaste salle du restaurant où aucun bruit extérieur ne semble pouvoir venir troubler la sérénité des convives. Un plaisir qui tourne vite à l’extase !

Mais bien entendu, on n’en reste pas là. Nous suivons l’un ou l’autre des Troisgros sur les lieux d’approvisionnement, du marché de la petite ville voisine aux serres de culture des tomates et autres légumes en passant par les élevages de bœufs pour la viande et de chèvres pour le lait. Tout ce qui compose les menus fait l’objet d’une approche détaillée, comme l’affinage des fromages qui donne lieu à un véritable cours. Composer la carte des vins demande une réflexion approfondie. Et les contacts avec les éleveurs, les cultivateurs et maraîchers ne sont surtout pas négligés.

En cuisine, c’est la précision des gestes qui est mise en évidence, dans la découpe des poissons ou dans le dressage des assiettes. En salle, la relation avec les clients est faite de sympathie et de simplicité. Mais toujours c’est la rigueur qui domine. Chacun a une tâche précise à effectuer qui doit mener à la perfection de l’ensemble. Un travail d’équipe où rien n’est laissé au hasard. Et au milieu de cette agitation maîtrisée, les chefs surveillent chaque poste, gouttent les sauces en cuisine et le cas échéant ajoutent quelques grains de sel, reçoivent et installent les habitués à leur table. Ils sont partout, connaissent tous les employés, supervisent toutes les phases de la préparation et de l’exécution des repas. C’est peu dire que l’ensemble du fonctionnement de la célèbre maison repose sur leurs épaules. Le film est donc aussi leur portrait. Celui de Michel en particulier, lui qui dirige le Bois sans feuille.

Les plans de respiration nous font découvrir l’environnement campagnard du restaurant. Les vielles pierres des bâtiments, les prairies et les vallons, les arbres et les fleurs. Des plans d’un calme absolu qui contrastent fortement avec l’agitation de la cuisine.

Le premier effet du film est sans doute de donner l’eau à la bouche au spectateur. Mais le plaisir qu’il procure est surtout visuel. Jamais dans les films de Wiseman, l’image n’avait été aussi éclatante, les cadres aussi dynamiques, même dans les plans fixes, la lumière aussi brillante, en cuisine grâce à l’éclat des ustensiles en cuivre et en salle grâce aux reflets sur les grandes baies vitrées.

On ressort des quatre heures de visionnage avec la conviction que la cuisine est bien un art. Un art dans toute la signification du terme. Chaque plat n’est-il pas une création originale ? Une œuvre qui met en alerte tous les sens. Il n’est pas jusqu’à sa désignation qui peut être considérer comme de la poésie. Et dans la salle de restaurant le ballet des serveuses et leurs longues jupes noires qui virevoltent entre les tables compose une chorégraphie saisissante.

Les restaurants Troisgros sont-ils accessibles à tous ? Pour le trois étoiles, certainement pas. Wiseman n’inclue dans son film aucune référence ni allusion aux prix des menus ou de la carte. Le seul moment où l’on parle argent est le prix exorbitant de quelques bouteilles lors d’une commande de vin. Un monde du luxe qui, comme tout le luxe dans notre monde, est réservé à quelques-uns.

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Par jean pierre Carrier

Auteur du DICTIONNAIRE DU CINEMA DOCUMENTAIRE éditions Vendémiaire mars 2016. jpcag.carrier@wanadoo.fr 06 40 13 87 83

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