A l’ombre de l’abbaye de Clairvaux. Eric Lebel, 2024, 90 minutes.
Les films sur la prison peuvent prendre deux directions différentes, quoique souvent complémentaires. Ou bien ils rendent compte d’une expérimentation originale comme dans La Liberté de Guillaume Massart, qui filme une « prison ouverte » en Corse ou Benvenuti in Galera de l’italien Michele Rho où l’établissement pénitentiaire est transformé en restaurant ; ou bien la prison est abordée sous un angle original comme dans A côté de Stéphane Mercurio qui ne montre que les familles venues rencontrer les prisonniers pour une séance de parloir. Dans A l’ombre de l’abbaye de Claivaux l’originalité du point de départ du film est évidente. Il s’agit en effet d’une prison (une centrale accueillant des lourdes peines) établie en lieu et place d’une ancienne Abbaye cistercienne.

La première approche de la prison est donc topographique. Les drones survolent les bâtiments de l’abbaye sans qu’on sache qu’il s’agit en fait d’une prison jusqu’à ce qu’on découvre les barbelés sur les murs d’enceinte et les miradors. Des images d’une grande beauté plastique.
Clairvaux n’est plus une abbaye depuis la révolution et le film consacre toute une première partie à retracer l’histoire de cette transformation. Et toute de suite les questions fusent : le lieu de vie des moines était-il prédestiné à sa fonction future ? Qu’y -a-t-il donc de commun entre les deux ? Un vocabulaire commun d’abord – cellule, enfermement – mais aussi l’idée que la privation de liberté – ou sa limitation – bien que volontaire du côté des moines est bien présente dans les deux cas. Ce qui ouvre immédiatement une réflexion, qui se poursuivra tout au long du film, sur la nature de la liberté. Être libre est-ce seulement pouvoir décider d’aller où l’on veut quand on veut ? Ou bien faut-il chercher sa signification dans l’intériorité spirituelle de la personne ? Le passage de la vie carcérale à la vie monastique vise alors à opérer un approfondissement de la réflexion. Peut-on rester libre en prison comme le proclamait la philosophie existentialiste ? Renoncer à sa liberté matérielle de mouvement est-il le meilleur, et le seul, moyen de conquérir sa liberté spirituelle ?

Le film opère donc une confrontation entre la vie des prisonniers et celle des moines, ces derniers étant filmés à l’abbaye voisine de Citeaux. Le côté de la prison est cependant plus développé. Nous ne rencontrons pas seulement des prisonniers (dont l’un, à visage découvert, retrace très concrètement sa vie avant l’enfermement et son ressenti à la privation de liberté – comment ne pas simplement la subir ?) mais aussi les membres de l’administration pénitencière qui s’interrogent sur la signification et l’efficacité sociale de l’enfermement, jusqu’aux gardiens dont l’importance est fortement soulignée. Côté moines, l’ambiance générale est nettement moins tendue. A Clairvaux les plans de portes que l’on ouvre et surtout que l’on ferme à clé derrière le détenu qui entre dans sa cellule sont récurrents. L’enferment des moines se veut échapper, lui, à toute contingente matérielle.
Le film d’Éric Lebel est certes riche en données historiques, mais son principal intérêt est d’ouvrir une réflexion philosophique sur la liberté. Si elle peut être considérée comme ce qui définit l’humain, ne sommes -nous pas amenés à nous demander ce que les hommes en font, soit individuellement, soit socialement ?
