A propos de La Résistante et le collabo.
1 Quelle est la genèse du film, depuis son point de départ.
Le point de départ fut assez classiquement, dans notre métier, un passionnant article du journal le Monde, de Benoit Hopkin, pour les 100 ans de Noëlla Rouget, quelques mois avant sa mort. J’ai trouvé cette histoire totalement incroyable et d’une très grande puissance humaniste. J’ai compris alors très vite que c’était un portrait croisé des deux protagonistes qui serait intéressant, chose qui n’avait à ma connaissance jamais été faite, et qui permettait aussi de montrer combien les réponses à l’occupation allemande ont été variées, y compris dans des milieux sociaux assez proches. Le Ying et le Yang, comme je disais à mon musicien Nicolas Repac, qui m’a composé une musique formidable qui a beaucoup enrichi le film. Et j’ai voulu aussi rendre hommage à la force du message humaniste de Noëlla Rouget. Très peu de gens ont eu dans l’Histoire cette capacité à, non pas pardonner, mais refuser de céder au désir si humain de s’acharner sur le coupable d’autant de souffrances. Elle préfère se concentrer sur la recherche d’une parcelle d’humanité chez un Vasseur qui hélas ne se repentira pas et ne changera pas jusqu’à sa mort. Noëlla Rouget, à sa manière toute de simplicité et de persévérance touche là au sublime de l’âme humaine. Sa grandeur d’âme n’écrase pas la petitesse de Vasseur, elle fait mieux que ça, elle l’éclaire et le porte malgré lui. Sa réaction à la montée du négationnisme fut également exemplaire. C’est un aspect qui m’a beaucoup touché, ce côté Résistante jusqu’au bout de sa vie, y compris quand elle vient au Plateau de Glières participer au rassemblement contre la politique de Sarkozy, avec Stéphane Hessel, le couple Aubrac et tant d’autres. Noëlla Rouget, c’est une vie d’une cohérence absolue avec des valeurs d’Humanité qui jamais ne transigent…
2 Comment s’est effectuée la recherche d’archives? Quels ont été les critères des choix nécessaires.
J’ai bénéficié d’une bio écrite par deux historiens suisses qui l’avaient bien connu, Brigitte et Eric Exchaquet Monnier. Ils ont en plus très vite accepté d’être les conseillers historiques du film. Les deux fils de Noëlla, Patrick et François Rouget, que je suis allé rencontrer à Genève, m’ont tout de suite fait confiance, je les en remercie encore, et m’ont permis d’accéder à tout un riche fond d’archives famillial, photos, lettres et documents, dont une partie constitue d’ailleurs le fond Noëlla Rouget , déposé aux Archives Nationales.
Et puis je me suis plongé dans le procès Vasseur, également entièrement consultable sur le site de Pierrefitte des Archives Nationales (dont je profite de l’occasion pour dire que c’est vraiment un endroit très agréable pour travailler, avec une équipe très pro, bref un merveilleux outil pour les historiens et les réalisateurs).
Comme la veuve allemande de Vasseur refusait tout contact avec des journalistes, des réalisateurs ou des historiens français ou suisses, ça a rendu les recherches sur lui nettement plus ardues.
Enfin, j’ai passé de longs mois à fouiller le plus de fonds d’archives possibles, en France, en Allemagne ou aux USA (par internet), et à lancer des bouteilles à la mer ici ou là. Il y a d’ailleurs un scoop (glaçant) dans le film, ce sont les fameuses cartes postales écrites à un ancien nazi autrichien, Ernst Bast, qui ont prouvé qu’il était « resté fidèle » à son engagement de jeunesse. Cela n’avait jamais été révélé avant, ni par le Monde ni par Ouest France, dont un journaliste avait écrit une série d’articles dur Vasseur et avait retrouvé la trace de la veuve, à Heidelberg.
Par exemple, aussi, Le jour où on tournait devant la maison de la mère de Vasseur à Lille La Madeleine, j’ai frappé à la porte et l’homme qui vivait là (qui n’avait jamais répondu au tel avant) m’a appris qu’il avait racheté la maison directement à Vasseur et qu’il avait trouvé quelques photos dans le grenier. C’est comme ça que j’ai eu des images de Vasseur enfant…
Dans les critères de choix des archives, il y a hélas aussi l’aspect financier, celles des plus grosses agences étant hors de prix, de l’INA à Gaumont-Pathé, mais aussi celles des cinémathèques régionales, ce que je trouve personnellement scandaleux, sachant en plus que ce sont pour ces dernières des images amateurs qu’elles récupèrent et numérisent.
Étant un grand amateur de doc historique, j’ai fait attention aussi à ne pas utiliser des images vues mille fois. J’ai donc souvent privilégié des photos de l’armée allemande en province (issues de l’ECPAD, de fonds départementaux ou de collections privées) à des images filmées trop vues. Et il y a aussi, et ça c’est une excellente nouvelle pour la réalisation de films historiques, de la 2ème guerre mondiale jusqu’à l’ouverture des camps, cet énorme fond américain libre de droits. Cela m’a personnellement beaucoup aidé.
. 3 Comment s’est effectuée la production du film? D’où viennent les financements.
C’est un cheminement de production assez classique, avec des aides au développement des deux régions concernées et de la Procirep, puis l’accord de France 3 régions (pays de la Loire) et de l’aide à la production de Pictanovo. Ensuite, Laurence Milon, ma productrice de la Huit Production, a dû chercher de l’argent ailleurs, car c’était largement insuffisant pour un film avec autant d’archives et un gros poste animation. Elle a donc réussi à convaincre quelques fondations et le ministère des armées, et Olivier Brumelot, France 3 Pays de la Loire, a coproduit le film. C’est également la région Pays de la Loire qui m’a donné une aide au développement, en cash et en industrie (2 fois plus de temps quasiment que la normale en post production). C’était un film qui aurait normalement nécessité une chaîne publique nationale pour se faire dans les meilleures conditions, mais grâce au travail de Laurence, on y est arrivé sans eux. Même si on a bien sûr moins bien gagné notre vie, le film en a très peu souffert au final.
