L’Homme aux mille visages. Sonia Kronlund, France, 2024, 90 minutes.
Une vie de mensonges, de tromperies. D’affirmations qui se révèlent immanquablement fausses. Il n’y a plus de référence stable. La réalité disparaît sous la fiction.
Dziga Vertov l’avait bien dit, la fiction, c’est toujours le mensonge, faire croire que. L’homme aux 1000 visages le prend au mot. Il vit entièrement dans la fiction. Sa vie n’est que fiction, une vie qu’il s’invente en continuité. Donc il ne vit pas une vie. Mais une multitude de vies. Qu’il forge selon son désir, ses besoins sa volonté. Mais le pire, c’est qu’il est toujours crédible. Il emporte l’adhésion de ses proches et surtout des femmes qu’il rencontre, qu’il séduit, qu’il entraîne dans sa fiction. Dans ses fictions.
Qui est-il donc ? Il n’a pas un nom, mais plusieurs. D’Alexandre à Ricardo. Et puisqu’il faut bien le désigner et le dénommer, ce sera, par défaut, Ricardo. De même, on lui connaît ou il s’attribue plusieurs nationalités, argentin, brésilien, portugais. Plusieurs professions aussi, de chirurgien à ingénieur en passant par médecin. Il dit travailler dans un hôpital ou chez Peugeot. Quant à sa famille, il s’en invente une riche, comme il peut se déclarer croyant, ou athée. Bref. Il est indiscernable. Un personnage fait d’invention. La cinéaste va essayer de percer son mystère. De dégager ne serait-ce qu’un brin de vérité, sous la couverture de mensonges.

Le point culminant de la tromperie réside dans sa vie amoureuse. Il se forge autant de vie et d’identité que de femmes qu’il rencontre et il va effectivement vivre simultanément avec plusieurs femmes. Des relations amoureuses basées donc sur le faux, le mensonge. Mais que ces femmes vivent sur le mode du réel. Elles sont – ou ont été – toutes, amoureuses. Le film décrit ces passions. Ces amours basés sur le mensonge. Mais jamais de façon réciproque. Les amoureuses, elles, sont sincères. Leur amour authentique. Du moins jusqu’à un certain point. Jusqu’à ce que le doute s’insinue dans la relation. La suspicion s’installe, la supercherie ne peut qu’éclater au grand jour.
Le film de Sonia Kronlund prend la forme globale d’une enquête. D’ailleurs, il commence par une filature, des détectives en planque devant un immeuble où est censé résider l’homme recherché. Pourtant, il ne s’agit pas seulement de démasquer l’imposteur. Dès le début du film, nous savons que nous sommes plongés dans le règne du faux, que l’on n’en sortira pas. Il ne s’agit pas alors de construire ou reconstruire une vérité cachée. Il n’y a pas de vérité de l’homme aux 1000 visages, sa vérité a été recouverte, perdue, donc sous le faux intégral. la vérité ne pourra plus apparaître, se révéler, éclater aux yeux de tous. La tromperie a définitivement triomphé de l’évidence.
Le film a ce côté fascinant du triomphe du faux. Et si la vie n’était qu’illusion ? Version moderne du mythe platonicien de la caverne. Mais dans laquelle c’est le cinéma qui est chargé de rétablir la vérité ? Ou du moins de dénoncer l’imposture, la tromperie généralisée.
Un combat dans lequel la cinéaste s’implique personnellement, aux côtés des femmes victimes des mensonges de l’homme aux 1000 visages.
L’épilogue du film est alors une véritable leçon de morale.
