Université expérimentale

Vincennes, l’université perdue. Virginie Linhart, 2016, 90 minutes

Le film de Virginie Linhart est un film personnel, un film personnalisé où la cinéaste intervient dès l’incipit. Elle présente les lieux. Elle pose ensuite des questions dans les entretiens. Elle précise les objectifs du film. C’est que son père a enseigné à Vincennes. Il faisait partie de ses universitaires tentés par cette aventure inédite. Une université expérimentale. Qui ouvrait la voie à un type nouveau d’enseignement. Alors encore « petite fille », comme elle dit, elle fréquente Vincennes. Vers 8 ou 10 ans. Elle n’assiste pas aux cours. Mais elle observe la vie foisonnante de ce lieu qui devient très vite un modèle. Mais il reste une exception dans l’enseignement supérieur en France. Vincennes déménagée à Saint-Denis, c’est la fin de l’expérience. Reste les souvenirs et beaucoup de nostalgie.

Le film de Virginie Linhart est un film d’entretiens. Dans la clairière où était bâtie l’université, il ne reste rien, plus aucune trace du passé. Alors elle pose un fauteuil en bois dans la verdure environnante. Et pose des questions. Elles convoquent les survivants de l’aventure. Des paroles du passé, donc. Là aussi, il y a comme un petit parfum de nostalgie.

Le film de Virginia Linhart est un film d’archives. Depuis les manifestations et les barricades de mai 68. Puis la construction éclaire de Vincennes, mais aussi sa destruction tout aussi rapide. Entre les deux, le film nous fait revivre les débats souvent houleux des assemblées générales, les manifs, les occupations. Des extraits de JT et de déclarations officielles de la ministre, par exemple. Dans ces archives, la caméra s’arrête souvent sur les murs des salles de cours où les slogans se superposent, sur le désordre des salles aussi. Mais on a aussi le plaisir d’écouter dans de trop courts instants les Chatelet, Deleuze, Lyotard, bref les philosophes qui tienne le haut de l’affiche. Vincennes a joué un grand rôle dans le développement de la pensée française.

Tout compte fait, le film de Virginia Linhart est un formidable document historique basé sur le vécu des acteurs même de l’histoire. Les enseignants bien sûr, mais aussi les étudiants, parmi lesquels des ouvriers qui, pour la première fois, pouvaient poursuivre des études comme les autres. À Vincennes, on pouvait être inscrit sans le bac et les cours du soir se multipliaient.

Vincennes fut en quelque sorte victime de son succès. En 1978 il y avait plus de 30000 étudiants alors qu’en 68 il en était prévu 3000. Il s’agissait de faire vivre l’esprit de mai 68. À ce niveau, on a sans doute dépassé tous les espoirs des plus optimistes. Mais pour quels acquis ? Sur quoi débouche la dimension expérimentale de Vincennes ? Certes, au niveau pédagogique, il y est démontré qu’il est possible de ne plus fonctionner avec des cours magistraux. Les étudiants avaient enfin la parole. Et une réelle communication avec les enseignants a toujours été effective. Mais le film ne dit pas un mot des problèmes de l’évaluation et donc des examens et des diplômes. Un trou noir significatif. Tout à Vincennes n’a pas été toujours positif.

Mais que le féminisme et les luttes des femmes y virent le jour n’est pas son moindre mérite.

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Par jean pierre Carrier

Auteur du DICTIONNAIRE DU CINEMA DOCUMENTAIRE éditions Vendémiaire mars 2016. jpcag.carrier@wanadoo.fr 06 40 13 87 83

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