Se souvenir d’une ville. Jean-Gabriel Périot, France, Suisse, Bosnie-Herzégovine, Allemagne, 2023, 109 minutes.
Le siège de. Sarajevo, d’avril 1992 à février 1996. Une ville martyre pendant quatre longues années. Quatre années à attendre la fin de la guerre. Pour pouvoir revivre. Recourir la liberté et la simple joie de vivre. Que faire pendant tout ce temps contraint ? Défendre la ville, bien sûr, mais encore ?
Le film de Jean-Gabriel Périot revient sur cette guerre interminable avec un dispositif original. Il n’utilise pas les archives traditionnelles, mais il présente dans la première partie du film les images – de simples vidéos – filmées par les assiégés dans la ville eux-mêmes, des images pour rendre compte au jour le jour de ce vécu douloureux. Puis dans un second temps, il retrouve les cinéastes improvisés en temps de guerre et les confrontent, après trente ans, avec ce vécu ancien. Un vécu qui, trente ans après, risque de s’estomper. De se brouiller un peu. S’oublie-t-il en partie. Mais les images d’alors les ravivent, ramenant à la surface de la conscience les émotions d’alors, la souffrance, la peur, la volonté de résister. Filmer alors la guerre était à n’en pas douter un acte de résistance. Comment ces cinéastes-soldats -ou ces soldats-cinéastes -vont-ils vivre ce retour, ce rappel en images du temps de passer ?
Les images retrouvées du siège de Sarajevo nous sont données aujourd’hui dans leur nudité brute. Reportages pris sur le vif, sans commentaire bien sûr, presque sans bande son. Par exemple, les combattants lourdement armés, qui courent dans les rues, pour échapper aux tirs des snipers sans doute. Ou dans des immeubles en ruine pour trouver un poste d’observation, mais aussi un poste de combat. Et puis les habitants anonymes. Comme cet homme qui creuse la terre avec une pelle. Ou les cercueils recouverts simplement de terre. Le quotidien, aussi, banal. Jusqu’à cette fête où des couples denses en musique. Parce qu’il faut continuer de vivre et donc faire aussi la fête.
Ceux qui ont réalisé ces images, et que nous n’avons pas vu alors, Periot les retrouve donc trente ans après. Et les met face à ces souvenirs grâce à une tablette. Il les filme dans les rues de Sarajevo, dans la campagne environnante, sur une colline domine la ville. Sur ce qui a dû être la ligne de front et qui ne peut que rappeler la guerre. Periot, filme ces anciennes cinéastes le plus souvent debout face à la caméra. Il nous montre donc cette situation de tournage des plus simple, le cameraman, le perchiste pour le son et quelques assistants, un petit groupe qui précède l’interviewé. Lui peut se déplacer dans l’espace. Ou bien, être simplement assis dans une pièce. Dans ces prises de parole face aux images du passé -ces images si personnelles – c’est bien sûr l’émotion qui domine. C’est aussi l’absurdité de cette guerre subie. Une guerre qui reste compréhensible aujourd’hui. Avoir vécu la guerre ne s’oublie pas. Avec la crainte qu’un jour elle se déclenche à nouveau.
Se souvenir d’une ville est un film sur la guerre, une guerre inacceptable, comme toutes les guerres. Sarajevo restera à jamais une plaie ouverte.
