C COMME CAMBODGE- Génocide.

S 21. La machine de mort khmère rouge, Rithy Panh, France-Cambodge, 2003,100 minutes

S 21 est le nom du tristement célèbre centre d’extermination situé au cœur de Phnom Penh, dans un ancien lycée, où 17 000 hommes, femmes et enfants moururent, le plus souvent après avoir été torturés. Seuls sept d’entre eux survécurent, et deux acceptèrent de venir témoigner devant la caméra de Rithy Panh.

Le film est dédié « À la mémoire ». Il vise explicitement à ne rien laisser dans l’ombre, ou dans un oubli trop facile, surtout pour ceux qui étaient du côté des bourreaux. Faut-il, pardonner ? La réconciliation est-elle possible ? Pour Panh certainement pas au prix de l’effacement des mémoires de l’horreur et de l’ampleur du génocide.

Le film commence par l’inscription, en surimpression sur des images d’archives montrant les dignitaires khmers rouges au pouvoir, des données historiques indispensables à la contextualisation de cette tragédie historique. 1970, coup d’État contre le prince Sihanouk. 17 avril 1975, victoire des Khmers rouges. Suit l’inscription des effets de leur politique : populations déplacées, habitants chassés des villes, écoles fermées, monnaie abolie, religions interdites, camps de travail forcé, famine, terreur, exécutions. Un génocide de deux millions de morts.

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Le projet de Panh a quelque chose d’inimaginable en soi. S’il retrouve des survivants de S 21, c’est pour les confronter à leurs bourreaux, ceux qui étaient du côté de la force, les gardiens, mais aussi un membre du groupe interrogatoire, un photographe qui prenait les clichés des prisonniers à leur arrivée, un conducteur de camion qui amenaient ici ceux qui venaient d’être arrêtés, et même un médecin formé pour « soigner » ceux qui venaient d’être torturés afin qu’ils puissent répondre à un nouvel interrogatoire.. Car tout était fait pour « détruire » ceux qui été conduits là, accusés d’être des ennemis du pays, c’est-à-dire du parti. Ils étaient torturés jusqu’à ce qu’ils dénoncent 50 ou 60 autres personnes, qui à leur tour devront dénoncer, et ainsi de suite. Une mécanique implacable. Car bien sûr, personne ne pouvait résister à cette escalade de la torture, qui les conduisait tous à la mort.

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C’est un des survivants, Nath qui, pour le film, va « interroger » ceux qui travaillaient à S 21 pour les Khmers rouges. Comment ont-ils pu accepter la cruauté du système ? Comment ont-ils pu en être les acteurs ? Comment ont-ils pu renoncer à toute humanité ? Ceux qui répondent ne reconnaissent pas leur culpabilité. Ils étaient endoctrinés. Ils avaient des ordres, qu’il fallait suivre, sinon ils étaient eux-mêmes exécutés. Mais, leur fait remarquer Nath, si vous étiez vous-mêmes des victimes, alors ceux qui étaient torturés, ceux qui sont morts, que sont-ils ?s 21 4

Le film de Panh ne prétend pas cependant suppléer à l’absence de procès des auteurs du génocide au Cambodge au moment de sa réalisation. Il ne rentre pas dans une tentative, bien incertaine, de comprendre en profondeur, ou d’expliquer le comportement des bourreaux. Plus concrètement, il va mettre à jour le fonctionnement de la machinerie de la terreur et de la mort mise en place à S 21.

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Les « employés » de S21, les gardiens surtout, vont « rejouer » pour le film, les actions qu’ils effectuaient dans le camp. Mais il ne s’agit pas d’opérer une reconstitution. Les pièces, les cellules, où étaient enfermés les prisonniers, restent vides. Personne ne tient le rôle des victimes et le décor originel n’est pas reconstruit. Ils agissent en quelque sorte à vide, reproduisant mécaniquement les gestes qu’ils effectuaient alors sans réfléchir, répétant les ordres, les menaces, les insultes proférés maintes et maintes fois. Ils étaient devenus des machines, des rouages de cette énorme « machine de mort ». Ou du moins c’est ainsi qu’ils veulent apparaître devant la caméra. En ce sens, le film atteint bien son objectif, démonter le mécanisme de l’asservissement de l’homme. Mais il laisse une interrogation terrible sans réponse : ces hommes, qui pouvaient tuer sans penser, sans réfléchir, éprouvent-ils aujourd’hui du remord ? Se sentent-ils coupables ? Et comment peuvent-ils réagir et accepter le rappel de leur inhumanité ? Le film est-il pour eux une thérapie, un exorcisme ? De ce point, il n’est rien dit. Ce qui peut signifier que le travail de mémoire qu’il entreprend ne s’adresse pas à eux, mais aux générations qui n’ont pas connu le génocide. Car, au fond, c’est à eux qu’il faut s’adresser, eux qu’il faut interpeller pour qu’une telle horreur ne puisse se reproduire.

Lire https://dicodoc.wordpress.com/2016/05/15/c-comme-cambodge/

Par jean pierre Carrier

Auteur du DICTIONNAIRE DU CINEMA DOCUMENTAIRE éditions Vendémiaire mars 2016. jpcag.carrier@wanadoo.fr 06 40 13 87 83

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