A COMME ABECEDAIRE – François Zabaleta par lui-même

A comme anorexie mentale

LA NUIT APPARTIENT AUX ENFANTS (court métrage) 2016

Aussi loin que je me souvienne je n’ai jamais eu faim. Ainsi commence le récit autobiographique d’un homme, (le cinéaste lui-même) qui raconte, tout à la fois l’anorexie mentale dont il a souffert enfant puis adolescent, et le rapport souvent difficile qu’il continue, devenu adulte, d’entretenir avec la nourriture, avec l’acte même d’ingérer des aliments solides.

C comme castration

PAPA (court métrage) 2018

Un fils vient pour régler ses comptes avec son père mourant. Une veillée funèbre acide en forme de pied de nez au destin.

C comme cinéma

MOUVEMENT D’HUMEUR (court métrage) 2018

le cinéma aujourd’hui de gré ou de force tend à devenir un produit

une marchandise parmi d’autres

globalisée

mondialisée

paramétrée

code-barrée

nivelée

standardisée

labellisée

codifiée

conformisée

abâtardie

dévitalisée

une denrée fade

impersonnelle

corsetée

inoffensive

évidée de sa substance

de sa charge de subversion

vandalisée par le terrorisme du court terme

de l’immédiateté

le cinéma

ou ce qu’il en reste

est devenue la grande surface de l’émotion low cost

D comme Documentaire.

Je n’avais jamais envisagé d’écrire et de réaliser des films documentaires. J’avais l’idée, simpliste j’en conviens, que le documentaire traitait nécessairement, par essence, de sujets politiques ou sociétaux. Et puis très vite j’ai compris qu’il n’en était rien. En réalisant mon premier film j’ai constaté que l’intime, l’intimité, ma matière première, pouvait être aussi, à sa façon, politique. Le documentaire me permettait aussi, comme j’essaie de le faire dans les films de fictions, d’être, à la fois, un raconteur d’histoires et un explorateur de formes. C’est dans cet esprit que j’ai voulu tenter de réaliser, sans très bien savoir où j’allais, des films documentaires très courts, (que j’ai appelé haïkus cinématographiques). Le documentaire est un genre qui réclame du temps (en général au moins une demi-heure) et qui est, de ce fait, rarement associé au court métrage. Le succès de mon film FUCK L’AMOUR (primé à Clermont Ferrand) (et qui se présente comme un faux documentaire) et qui dure 5 minutes m’a fait réfléchir. C’est alors que j’ai commencé à entrevoir la possibilité de réaliser des films documentaires de moins de 10 minutes où j’exposerai, sans la développer, une situation, une prise de conscience, un moment où la vie bascule brusquement, irréversiblement. C’est ce que j’entendais par haïku cinématographique : saisir la quintessence d’un être ou d’une situation dégraissée de tout ce qui l’entoure pour que la brièveté, loin d’être un exercice de style, donne au hors champ (sociétal…) toute sa densité. Exister, en quelque sorte, dans son absence même. Comme l’écrit si justement Roland Barthes dans L’empire des signes*) : Dans le haïku, la limitation du langage est l’objet d’un soin qui nous est inconcevable, car il ne s’agit pas d’être concis (c’est-à-dire de raccourcir le signifiant sans diminuer la densité du signifié) mais au contraire d’agir sur la racine même du sens, pour obtenir que ce sens ne fuse pas, ne se décroche pas, ne divague pas dans l’infini des métaphores, dans les sphères du symbole. La brièveté du haïku n’est pas formelle ; le haïku n’est pas une pensée riche réduite à une forme brève, mais un événement bref qui trouve d’un coup sa forme juste.

* Roland Barthes, L’empire des signes (1970, éditions Albert Skira)

E comme enfances

LE BÂTARD IMAGINAIRE (long métrage) 2013

J’ai toujours eu la sensation qu’il y avait en moi un être assassiné. Assassiné avant ma naissance. Il me fallait retrouver cet être assassiné. Tenter de lui redonner vie…

Samuel Beckett, dans Rencontres avec Samuel Beckett de Charles Juliet.

LE BÂTARD IMAGINAIREest l’histoire d’une destruction. Celle, quotidienne, irréversible, d’un enfant de huit ans muré dans un désespoir qui n’a pas de mot pour se dire. Un désespoir froid et blanc comme une banquise dans laquelle il s’égare en prenant soin d’effacer ses propres traces. L’enfant dont il est question, et qui est bien entendu le cinéaste lui-même, ou l’enfant qu’il a été, ne participe pas au monde qui l’entoure. Il ne comprend ni ses règles ni le rôle qu’il est censé y jouer. S’il est l’histoire d’une destruction, Le Bâtard Imaginaire est aussi celle d’un apprentissage âpre et cruel. Celui du sentiment de la différence chez un enfant aussi peu préparé que possible à la recevoir pour destin.

E comme envoûtement

SISTER BLOOD (court métrage) 2012

SISTER BLOOD est l’histoire d’un envoûtement. L’histoire d’un homme d’une trentaine d’années possédé par une statuette funéraire Toraja dérobée par son compagnon dans un cimetière indonésien. Ce film, digne d’un conte d’Edgar Allan Poe, est le récit incroyable mais authentique d’un homme qui, bien que ne croyant ni aux esprits ni à l’au-delà, fut, pendant plus de dix ans, victime de acharnement vengeur d’un objet cultuel.

E comme être ou ne pas être

UN JEUDI SUR DEUX (court métrage) 2019

Un jeudi sur deux il y a ce que le juge des enfants appellent le droit de visite.
À cette époque-là le jeudi est le jour des enfants.
Un jour sans école.
Le jour des copains et des activités sportives ou culturelles.
Un jour que tu n’aimes pas. Un jour que tu redoutes.
Parce que toi tu n’as de copains et que tu n’as pas non plus d’activités sportives ou culturelles.
Parce que toi tu ne sais jamais quoi faire de toi.

E comme euthanasie.

FIN DE SEJOUR SUR TERRE 2012 (court métrage)

Le narrateur de ce film, ayant décidé de mettre fin à ses séjours, décide de se rendre à Zurich pour mettre son projet à exécution à l’aide d’un moyen devenu légal le suicide assisté. Cette expérience bouleversera à jamais sa perception de l’existence.

F comme fils

OBSOLESCENCE PROGRAMMÉE (court métrage) 2019

Un fils. Une mère malade. Une promenade au bord de la mer. 

H comme haine

COUTEAU SUISSE (moyen métrage) 2018

L’histoire se passe en province, dans les années soixante-dix. Le narrateur, Gaspard, un adolescent de 17 ans, tient dans son journal le compte rendu quotidien du harcèlement homophobe dont il est la victime. Son bourreau est une élève de son lycée, Georgia. C’est une jeune fille émancipée qui vit en communauté avec son frère Francis et ses amis motards. Au lycée Georgia ne fait rien. Elle est jugée par l’administration scolaire comme de la graine de délinquante, une sorte d’amazone néo-nazie, une brebis irrécupérable qui passe ses récréations à fumer des Craven A., à boire au goulot sa flaque en argent au contenu suspect et à lire exclusivement les romans de son écrivain préféré : Louis Ferdinand Céline. COUTEAU SUISSE est film sur la haine, le mal, la peur, dont le dénouement est, d’avance, pleinement accepté par la victime et son bourreau qui se conduisent comme les personnages d’une tragédie antique écrasés par un destin contre lequel ils se débattent tout en sachant, dès leur première rencontre, qu’ils ne pourront pas échapper à son couperet.

I comme icône

PETIT POUCET (court métrage) 2019

Au début des années quatre-vingt, un jeune homme est assis dans un square des Champs-Élysées. Il voit s’approcher une vieille dame qui s’assoit presque en face de lui. Au bout de quelques minutes, il la reconnaît soudain.

I comme installation

CANCER MON AMOUR 2007 (moyen métrage)

Voulez-vous en savoir plus. Je suis une encyclopédie à l’agonie, chaque mot est un caillot de sang. Vous n’avez pas besoin de me dire, Marquise, que le vin était empoisonné. Je voudrais assister à votre mort comme j’assiste maintenant à la mienne. D’ailleurs je me plais encore à moi-même. La masturbation continue avec les vers. J’espère que mon jeu ne vous a pas ennuyée. Ce serait à vrai dire impardonnable. MERTEUIL : Mort d’une putain. A présent nous sommes seuls cancer mon amour.

Heiner Müller, Quartett

Il s’appelle Olivier. Nous nous connaissons depuis longtemps.

Nous sommes amis.

De lui au fond je ne sais pas grand-chose. Je sais ce qu’il me dit. Je devine parfois ce qu’il ne me dit pas.

Nous ne nous voyons pas souvent. Nous nous croisons. Nous sommes toujours contents de nous revoir. De parler du point où nous en sommes. Nous sommes des amis au long cours.

Il y a peu il me fait cette demande.

Il veut un film sur lui. Il veut de moi un film dont il serait le sujet exclusif.

Comme beaucoup de collectionneurs, comme beaucoup de nantis convertis au vertige de l’art de leur temps, il veut être l’instigateur d’une œuvre unique. Il ne veut plus seulement acheter de l’art. Il veut, à son tour, devenir œuvre d’art. Il veut se rêver modèle et mécène d’une œuvre célébrant sa propre gloire. Ou plutôt, le sachant trop retors, d’une œuvre mettant en scène sa propre auto-profanation.   

Il m’écrit la chose suivante :

J’aimerais que tu réfléchisses à un travail dont je serais le commanditaire, comprenant la réalisation d’une vidéo en boucle, mettant en scène toutes les techniques de ton art: photo, vidéo et performance le cas échéant. Ce travail pourrait s’articuler autour de MOI, dans un environnement, incluant les notions de VANITE (vanitas dans la tradition humaniste des Cabinets de curiosité), d’identité génétique imposée à la naissance et re-créée par le travail analytique, et puis bien sûr, tout ce que ce travail peut t’inspirer de fantasmes ou de dégoût aussi. Donne-moi ton avis sur ce projet commun.

Un collectionneur d’art contemporain me commande une œuvre sur lui-même.

O comme objets

MON OBJET PRÉFÉRÉ (long métrage) 2013

« C’est en rentrant dans l’objet qu’on rentre dans sa propre peau » Henri Matisse

Je suis allé filmer chez eux, sur leur lieu de travail ou, à défaut, dans la rue une centaine de personnes de tout âge et de toute condition sociale en leur demandant de poser silencieusement avec leur objet préféré. En quoi l’objet parle-t-il de nous ? Quelle est la nature du lien qui nous unit ? Les choses ne nous servent-elles qu’à projeter nos espoirs et notre nostalgie ou bien y a-t’il une vraie réciprocité dans nos rapports? Existe-il un dialogue secret entre les choses et nous ? Les choses nous répondent-elles? Et si oui, dans quelle langue? MON OBJET PRÉFÉRÉ est l’histoire de ce questionnement.

P comme Pina

DERNIÈRE DANSE, lettre à Pina B. (court métrage) 2016

À la fin des années soixante-dix, à l’âge de dix-huit ans, je me suis retrouvé par hasard dans une salle de spectacle parisienne programmant l’œuvre, tout à la fois théâtrale et chorégraphique, d’une artiste dont je n’avais jamais entendu parler : Pina Bausch. En sortant je n’étais plus le même. Pina Bausch a été, selon la formule consacrée, l’artiste qui a changé ma vie. Jusqu’à sa mort en 2009 j’ai vu et revu, en France et à l’étranger, chaque fois que j’en avais l’occasion, tous les spectacles de cette grande artiste. Cette brève lettre filmée raconte le rapport poétique et mystérieux que j’ai entretenu à distance, pendant quarante ans, avec cette femme étrange et inoubliable qui a infléchi le cours de l’existence de nombre de ses spectateurs.

S comme sédentarité

LE MAGASIN DE SOLITUDE (long métrage) 2019

Pendant quelques mois j’ai enquêté. Je suis allé voir des gens sédentaires. Je leur ai demandé de me parler de leur vie, de l’emploi du temps de leurs journées. Ce sont des gens qui passent leur vie chez eux. Qu’ils y soient obligés ou non n’est pas important. Ce qui compte ici c’est la façon dont ils s’accommodent de leur sort ce qu’ils en font, n’en font pas. Comment ils trouvent ou ne trouvent pas leur salut loin de leurs prochains. Je les ai écoutés inlassablement me parler de leur condition. J’ai récolté leurs paroles. Je les ai accouchés. Je n’ai eu aucun mal. Je n’ai eu besoin d’aucun subterfuge. Tous ils étaient à vif. Tous ils avaient la confidence à fleur de peau. La parole coulait d’elle-même. Leur vérité généreusement se dévidait avec une rage lasse et poignante. Ce n’était pas de l’hygiène mentale. C’était au-delà. On pouvait presque parler de liturgie.

S comme sexualité masculine

TRAVELLING ALONE (moyen métrage) 2017

L’église dit : le corps est un péché.

La science dit : le corps est une machine.

La publicité dit : le corps est un business.

Le corps dit : je suis une fête.

Edouardo Galeano

TRAVELLING ALONE est un film sur les hommes. Ou, plus exactement, sur un non-dit social et artistique quasi absolu, la sexualité masculine. TRAVELLING ALONE n’est pas réellement un documentaire. C’est une méditation cinématographique sur les hommes et leur libido. Ce film raconte l’histoire d’un homme qui se trouve brutalement confronté aux vicissitudes de son propre désir. Aucun petit garçon n’est éduqué dans l’idée que sa virilité, son aptitude à la turgescence, peut, du jour au lendemain, déposer son bilan. Qu’en est-il alors ? Que se passe-t-il quand un homme jeune encore découvre que le meilleur est derrière lui ? Qu’il n’a plus devant lui qu’un long, qu’un interminable travail de deuil à effectuer sur sa propre aptitude au plaisir sexuel ? Tel est le sujet de TRAVELLING ALONE. Un homme qui cherche dans son passé les prémices de ce qui allait devenir son destin d’homme adulte. Un homme patiemment qui cherche dans son passé les signes avant-coureurs d’une débâcle organique qui le déchoit de sa condition d’homme pour, à jamais, l’exiler dans la patrie des fantômes.

T comme transgression

JUSQU’A LA LIE (court métrage) 2017

Les ingrédients de cette histoire d’enfance sont : Un garçon de cinq ans. Une grand-mère. Une bouteille mystérieuse et démoniaque. Une tentation à laquelle, pour mieux s’en débarrasser, il s’empresse de céder.

V comme visage

ZÉRO FIGURE (moyen métrage) 2017

Quand le désastre devient une figure imposée du destin, deux voies s’ouvrent à vous : l’amertume ou la grâce.   

François Zabaleta

ZÉRO FIGURE est la plus petite taille de tableau commercialisée par les marchands de couleurs (18 sur 14 centimètres). Il existe aussi une taille inférieure appelée Zéro zéro (16 sur 12 centimètres).

ZÉRO FIGURE est une méditation sur le visage, la peau, l’apparence et ses mutations, transformations, malformations, détériorations et autres opérations chirurgicales, nécessaires ou non, qui en corrigent les aspérités de l’âge ou de la maladie. Mêlant histoires personnelles, faits divers, citations, digressions, l’auteur nous offre un collage cinématographique autour de la figure humaine et de son propre imaginaire.

Par jean pierre Carrier

Auteur du DICTIONNAIRE DU CINEMA DOCUMENTAIRE éditions Vendémiaire mars 2016. jpcag.carrier@wanadoo.fr 06 40 13 87 83

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