Secteur 545. Pierre Creton. France, 2005, 105 minutes.
Secteur 545 est un film en noir et blanc, comme les vaches de Normandie. Des vaches, en pays de Caux, il y en a beaucoup. Des vaches laitières dont il faut surveiller la production. Pierre Creton se fait embaucher comme « peseur » au contrôle laitier. Il doit aller dans les fermes du secteur 545, assister à la traite, relever le niveau de la production et prélever un échantillon de lait. Un boulot pas très spécialisé au fond, mais qui lui permet, puisqu’il est cinéaste, de pénétrer dans les exploitations, de poser sa caméra dans les étables, les plus modernes, style laboratoire, comme les plus traditionnelles. Il participe à la traite, toujours mécanisée et surtout, il rencontre des éleveurs dont il nous donne à connaître le travail et le mode de vie.
Creton filme aussi Jean-François, son supérieur puisque c’est lui qui l’a recruté, mais pas vraiment son chef. Il va lui aussi de ferme en ferme, discutant des problèmes des exploitations. Il montre une photo où il avait 5 ou 6 ans, entre sa mère assise près d’une vache et son grand frère. Toute une vie passée à la campagne en relations avec les vaches et les problèmes de lait, ce qui ne l’empêche pas de lire Kierkegaard. Le soir il va boire une bière dans le pub anglais du coin. Et il pose torse nu pour une amie artiste qui sculpte son buste en argile. Le film se terminera d’ailleurs juste après le vernissage de l’exposition qui lui est consacrée. Autour de la sculpture sont exposées des fragments de plans dessinés à la craie sur des ardoises et des photos de vaches et de lui-même. Il a son moment de célébrité.
La relation des fermiers avec leurs vaches a toujours quelque chose d’affectif. En garder une pendant 18 ans, alors que l’âge moyen des laitières est de 10 ans, en est bien la preuve. Son propriétaire raconte que c’est avec cette vache qu’il a appris la traite. Alors, pas question de l’envoyer à l’abattoir. Dans l’étable, les vaches ont des numéros, mais cela n’enlève rien au caractère particulier de chacune. Dans un troupeau, c’est la plus vieille qui donne le plus de lait. Alors l’éleveur la bichonne tant qu’il peut. « C’est la princesse du lot » dit-il.
Tout au long du film, Creton joue son rôle de cinéaste. Il installe un de ses amis fermiers, ou un couple, devant la caméra et leur pose une question surprise : « quelle est la différence fondamentale entre l’homme et l’animal ? » Les interrogés sont toujours surpris mais la plupart essaient de répondre. Des réponses de bons sens : la réflexion, le langage. Ou même « un animal est un animal ». Creton filme aussi l’installation devant la caméra de ceux qu’il va interroger. L’un d’eux cherche même le meilleur décor et déplace sa chaise en conséquence. Et puis un de ces mini entretiens tourne au jeu de cache cache entre le filmeur et le filmé. Une question si idiote, même si elle se veut philosophique, le matin de bonne heure, il ne faut pas exagérer ! Alors le sarcasme fuse. « L’homme c’est moi et l’animal c’est toi » Et la différence entre toi et moi, insiste Creton. Réponse instantanée : l’intelligence. Une bonne leçon de modestie donnée au cinéaste, une leçon pour rire certes, sans agressivité, avec une certaine tendresse même. Mais leçon quand même. Une leçon de cinéma en somme.
La vie des vaches se termine à l’abattoir. Creton filme un camion qui y conduit quatre bêtes, mais il ne rentrera pas dans l’établissement. Nous préfèrerons avec lui ce plan du gros câlin que donne cet éleveur à une vache qu’il sert fort dans ses bras. Il y a dans l’œil du bovin une véritable lueur d’humanité.
