Heligonka. Yann Le Masson. France 1984, 26 minutes.
Heligonka est un film intimiste et un film familial. Un film qui entre dans l’intimité d’une famille, un couple et une enfant, et qui est par ailleurs de la famille du cinéaste, puisque Patrick, le personnage principal, est le propre frère de Yann Le Masson. Celui-ci filme son frère alors que, souffrant depuis longtemps de diabète, il perd peu à peu la vue. S’il ne devient pas entièrement aveugle, il ne voit plus que des ombres et une vague lumière floue. Il aura pourtant tout essayé pour éviter le « trou noir » et se construire une autre vie.
« Peut-on oublier ce que c’est que voir ? » Et la lumière, peut-on vivre sans la lumière ? A travers le portrait de cet homme qui perd la vue, Yann Le Masson réalise un hymne à la lumière, un hymne à la lumière qui est en même temps un hymne à la vie. Patrick mène un véritable combat contre la progression du trou noir. Il lui faut s’habituer à cette vision floue, « presque une vision surréaliste » dit-il, que le cinéaste nous fait découvrir dans des vues subjectives rendues floues par l’utilisation de filtres qui réduisent en même temps la dimension du champ visuel. Il lui faut aussi essayer d’apprendre à voir à ses mains, même si les protubérances du braille sont trop fines pour ses doigts de travailleur manuel. Il lui faut supporter les longues séances de rayon laser projetant au fond de son cerveau des éclairs lumineux de plus en plus difficile à supporter. Heureusement, il lui reste la musique, son accordéon avec lequel il fait véritablement corps, et sa petite fille, qu’il voit quand même grandir et à qui il peut faire découvrir l’instrument.
Heligonka est un film entièrement personnel, où le cinéaste et celui qu’il filme ne font qu’un, une fusion explicite dans l’utilisation d’une voix off qui est une véritable voix intérieure. Les images du film rendent parfaitement cette subjectivité, des images brumeuses comme le temps qu’il fait le plus souvent dans cette vie aquatique pour qui vit comme Patrick sur un bateau. Si Yann Le Masson est un cinéaste voyageur – ses films les plus connus réalisés au Japon et à La Réunion – il réussit avec ce film court à montrer la vie intérieure d’un homme avec autant de force que les mouvements de foules dans les manifestations et les confrontations avec la police.