Notturno, Gianfranco Rosi, 2020, 100 minutes.
Quelles traces la guerre laisse-t-elle sur le paysage ? Finissent-elles par disparaître ? Avec le temps, peut-être. Même s’il faut beaucoup de temps. Sur les humains, la guerre laisse une empreinte autrement plus profonde. Indélébile sans doute. Être victime de la guerre ne s’efface jamais. Sur les corps et dans les esprits surtout.
Bien des films ont montré avec force les effets de la guerre, à commencer par ceux de Laurent Bécue-Renard. Le dernier film de Gianfranco Rosi ne va pas dans le même sens. Il est plus diffus. Il n’aborde la guerre que de biais. Les images de ruines, de bâtiments détruits, sont peu nombreuses. Et pourtant, l’horreur de la guerre est bien présente à chaque image du film. Des images sombres, qui mettent souvent mal à l’aise.

Rosi nous dit avoir filmé pendant trois ans aux frontières de l’Irak, de la Syrie, su Kurdistan, du Liban. Là où la folie de Daech a fait des ravages et où la guerre pour l’éradiquer n’est jamais achevée
Cette guerre nous ne la verrons pas directement. Mais elle est là, encore bien présente, dans ces images qui n’ont rien d’images d’archive. Parce qu’elles risquent bien d’être toujours d’actualité.

L’actualité de la guerre dans les images de Notturno c’est d’abord la présence de combattants. Ces soldats dès le premier plan du film qui marchent au pas en (un chant guerrier qui n’a rien de musical) et qui semblent tourner en rond dans la cour d’une caserne. Ce sont aussi dans le camp des vaincus ces prisonniers tous vêtus d’une combinaison orange (la marque de l’Amérique ?) et qui sont entassés dans une seule cellule. Mais, d’une façon plus insidieuse, la présence de la guerre qui n’en finit pas de finir, ce sont ces petits groupes de soldats armés qui montent la garde sur un monticule de terre. Que surveillent-ils ? Qui protègent-ils ? Le même mystère entoure ces engins blindés qui patrouillent parmi les ruines. L’ennemi est toujours présent, caché là où on ne peut le débusquer, invisible. Un ennemi fantôme.
Pourtant, l’horreur de la guerre est directement présente à travers les récits de ces enfants enlevés par Daech, maltraités et torturés par Daech. Une enseignante les aide individuellement à exprimer leur douleur pour tenter de les libérer de ce cauchemar. Puis toute la classe affiche les dessins réalisés dans ces séances où il s’agit d’essayer de retrouver la paix.

Et de vivre en paix si cela est possible. Comme dans Fuocoammare, Rosi filme la vie quotidienne de cette population que la guerre semble épargner quelque peu. Elle n’est jamais bien loin puisque l’on entend sans cesse les tirs de mitraillette au loin. Les images du chasseur dans sa barque dans le marais peuvent être vues comme des images calmes, des images de paix. Il n’en est rien. Le silence est trompeur.
Le film se termine sur ce qui peut être une image d’espoir. Un gros plan sur le visage d’un adolescent, regard dirigé vers un hors-cadre qui ne peut être qu’imaginaire. La fin de la guerre ?

A sa sortie, le film a été critiqué par une certaine presse « intello », le taxant de voyeurisme et dénonçant sa malhonnêteté dans l’exploitation de la douleur et de la misère humaine. C’est très injuste. Rosi filme un monde ravagé par la guerre avec beaucoup de retenue. Aucune image n’est excessive ou outrée. On ne peut même pas dire qu’il y a dans le film une recherche d’esthétisme. On doit plutôt le considérer comme une vision d’auteur. Une vision particulièrement originale.