Première partie. Les années formation : devenir cinéaste, en fin de compte.
J’ai un parcours un peu bigarré. J’ai fait un bac S au lycée. Après j’ai initié un parcours en sciences et technique des activités physiques et sportives. Puis j’ai pris un peu de temps. J’ai voyagé en Afrique, fais du théâtre là-bas. J’ai organisé avec une fédération étudiante un cycle de conférences-débats au moment de la présidentielle 2007 pour essayer d’inciter à parler des origines, des racines de l’extrême droite et faire barrage à l’époque puisqu’on était cinq ans après l’accession de Le Pen et du Front national au second tour. Après cette année de césure, j’ai repris mon cursus en sociologie-anthropologie qui était quelque chose qui m’attirait, m’intéressé beaucoup, parce que à mon arrivée à l’université, bien que j’étais dans un cursus sportif, j’ai fait la rencontre d’enseignants, des chercheurs, qui fabriquaient collectivement une revue, qui tous avaient un cursus dans ces disciples-là, avec une vision pluridisciplinaire. Ça m’a complètement fat bifurquer et donc j’ai fait une licence en socio-anthropo, à Caen et j’ai entrepris un master 1 au bout duquel je ne suis jamais allé, avec un projet de rédaction de mémoire dont j’ai jamais su me dépatouiller et qui finalement m’a amené à chercher ma voie en passant différents concours, sans me sentir bien épanoui. Chemin faisant je suis arrivé plutôt du côté des livres. J’ai fait un DU à Bordeaux en technique et médiation documentaire. Il y avait à la clé une compétence technique qui permettait de monnayer ton diplôme contre un job. Mais il s’est trouvé à ce moment-là que, en parallèle à mes études je faisais des tonnes de boulots alimentaires très différents les uns des autres, notamment sans diplôme j’étais partie prenante d’une équipe qui organisait des séjours de vacances, avec la ville de Bobigny en Seine-Saint-Denis, pour des enfants de 3 à 6 ans. Chaque année on menait une expérimentation, qui donnait lieu à un petit quelque chose à la fin, par exemple un texte dans Vers l’Education nouvelle. Une année on a décidé de réfléchir à la question de la séparation, l’enjeu de la séparation dans ce type de séjour qui était des séjours encore à l’ancienne, assez long, 3 semaines en l’occurrence, et pour des enfants de 3 à 6 ans c’était pas rien. En outre, pour les parents ça doit être quelque chose aussi. Alors on s’est dit on a envie de travailler cette question-là. Ça faisait quelques années qu’on bossait la même équipe. A la fois on savait que c’était probablement la dernière colo qu’on faisait ensemble. Et en même temps on avait aussi le projet de mettre sur pied un séjour où il n’y aurait plus de séparation entre les personnels dits éducatifs et les personnels dits techniques. Grosso modo il y a des étudiants d’un côté qui ont le savoir, les études, qui donc sont habilités à s’occuper des gamins, et de l’autre, essentiellement des femmes à qui sont dévolues des tâches de ménage, de cuisine. On avait cette espèce d’utopie de rêver à un séjour où les postes soient tournants. Cet été-là j’avais envie d’apprendre un peu plus la cuisine. Je suis allé travailler en cuisine dans un autre séjour de vacances. Il s’est trouvé que l’ami qui dirigeait la colo, en accord avec les autres copines et copains, m’ont dit Martin, je te verrais bien à la caméra. Pourquoi pas. Ça me parle, allons-y. Et puis voilà, le temps de faire un dossier auprès de la commission européenne pour un dispositif du genre projet européen Jeunes en action. On avait récupéré une petite enveloppe, acheté une caméra, un ordinateur pour faire le montage, un micro, un trépied. C’était une somme forfaitaire donc on allouait l’argent comme on voulait. Pour être le plus égalitaire possible, on allait me rétribuer comme les animateurs. On était tous sur le même pied. Il restait trois sous à la fin, on a acheté une cabane pour les gamins, et se faire une bouffe… Au milieu de tout ça, moi j’ai filmé pendant trois semaines et moi qui me cherché je me suis dit ça peut être ça travailler. Il y a du désir, du plaisir, il y a une forme de recherche de beauté aussi. Et tout d’un coup, s’il y a quelque chose qui t’interpelle tu peux t’en saisir. On a monté tout seul ce film, qui était un premier film, un peu fragile, un peu bancal et plein d’énergie.
Il s’appelle comment ?
Cette colo là .
Evidemment il n’a pas eu un destin très visible, mais néanmoins, à ce moment-là, la petite équipe qu’on était, on a eu la chance de pouvoir le partager, le présenter, pour des séances en cinéma avec des associations – ça pouvait être les Francas, les Ceméa – à l’université en sciences de l’éducation, dans des temps de formation, dans différents endroits et pendant un an on a fait une dizaine de projections, 1500 ou 2000 spectateurs, mais c’était hyper nourrissant, hyper réjouissant. C’était ça mon parcours. Dans le DU que je suivais j’avais des stages à faire, et j’ai eu la chance de pouvoir choisir ces stages. Il y avait une directrice de la BU lettres à Bordeaux qui m’avait parlé l’année d’avant, en entretien, de reprendre l’organisation du mois du doc. Elle était très sympathique cette personne. Tout de suite je lui avais envoyé une candidature. Et l’année suivante j’étais pris dans cette formation. Je me suis retourné vers elle et elle m’a fait confiance et m’a créé un poste. Donc je l’ai secondé pour cette orga du mois du doc à l’université en Aquitaine. Par l’entremise de ce premier stage, j’ai rencontré Daniela de Felice. Ce qui est drôle, c’est que Daniela avec son compagnon, compère de cinéma, Matthieu Chatellier, ils avaient réalisé quelques années auparavant, un film (G)rève général(e) qui traitait de l’université de Caen à un moment où pour moi tout allait changer. On avait beaucoup échangé. Probablement je manifestais beaucoup d’envies. Elle était contente du boulot que j’avais fait pour l’accueil de son film, Casa, qui était sublime. Et elle m’a dit tiens tu as un stage à faire, Martin, je te conseillerais d’envoyer une candidature à la BPI, ils cherchent des stagiaires pour Cinéma du réel. Ça m’a paru intéressant. Et à nouveau je me suis retrouvé en stage, sur la partie rencontres professionnelles, avec une toute petite mission mais avec des choses super intéressantes. Et un regard plus sur la partie institutionnelle et industrie du cinéma. Après ça j’ai fait d’autres stages, en relation un peu moins directe avec le cinéma. J’ai eu mon diplôme. Tout s’est enchainé. J’ai eu une petite fille. On a déménagé. C’était une belle période aussi. Il a fallu bosser aussi, remplir le frigo. Je me disais naïvement que là où j’étais, au Havre, il y avait une rénovation de la grande bibliothèque, et je me disais que j’allais peut-être trouver un job là-bas. J’avais un CV un peu nourri. Mais ça n’a rien donné. Quand j’étais étudiant j’avais été pion. Et je me suis dit le rectorat prend des profs contractuels. J’ai envoyé un CV et une lettre de motivation. J’ai appelé quelques jours après. La secrétaire m’a dit : vous êtes où ? A Etretat. Fécamp c’est loin de chez vous ? 17 km. Parce qu’il y a un poste.
Après un entretien, je me suis retrouvé 6 mois documentaliste dans un lycée de Fécamp. C’était pas hyper joyeux comme expérience professionnelle.
Il y avait quand même le contact avec les élèves ?
Oui, mais la titulaire que je remplaçais avait déjà mis en place tout l’aspect pédagogique. J’étais pas non plus rompu aux techniques d’enseignement. Je ne bénéficiais pas d’une formation de la part du rectorat. J’étais parachuté là. Mais après on m’a proposé un autre poste dans un collège. J’avais la responsabilité du CDI en accompagnant les projets des collègues de toutes les disciplines. Ça a été une belle expérience. Mais à la fin, je me suis dit est-ce que j’ai envie de continuer comme ça ? Les alternatives c’était de passer le concours. Mais il y a très peu de postes, nationalement. Si tu as la chance d’être admis, il y a 80ù de chance que tu sois admis dans une autre région que celle où tu vis. Avec un salaire de prof tu peux pas envisager de vivre dans deux lieux. J’avais droit à un peu d’indemnisation, en chômage. Je me suis dit, j’ai envie de tenter, de saisir ce temps pour écrire, développer des projets. Mon premier projet était ce qui est devenu Comme Xavière, pour lequel on a eu de l’ex-région Haute-Normandie, en 2015, une bourse première œuvre, qui était un genre d’aide à la production pour des premiers projets. Ce qui nous a permis de rencontrer dans la foulée, de manière beaucoup plus sérieuse et décisive des producteurs et de faire le choix de travailler avec Pays des miroirs et Tel me film, avec Eric Jarno. On a fait le choix de ne pas tourner tout de suite avec la petite subvention dont on disposait, mais de réécrire pour pouvoir déposer un dossier à des commissions, financer le film et le faire de manière professionnelle. Sauf qu’on savait pas écrire. On a du déposer 12, 15, 16 fois le dossier. Pas qu’à des commissions type CNC, on est allé à plein de guichets différents. On s’est fait recaler quasiment partout. Personne veut de ton truc nulle part. T’as pas les codes quoi. C’est comme ça pour plein de gens je pense. On savait pas écrire pour le cinéma. Et néanmoins on a eu la possibilité de tourner. Après ce tournage, il nous fallait encore trouver des sous pour réaliser la post production. Là je me suis dit, ça va être long, ça va être super long, le calendrier des aides étant ce qu’il est. Et du coup il y avait un peu de place en moi pour aspirer à d’autres réalisations. Ça coïncidait un peu avec le moment où j’avais rencontré Christophe quelques mois auparavant.
A suivre
