Filles placées.

Mauvaises filles. Émérance Dubas, 2022, 71 minutes.

La camera s’attarde sur les murs, des murs sales, avec des fissures et une peinture passée qui s’écaille. Les carreaux des fenêtres sont brisés, comme les vitraux de ce qui devait être une chapelle. Passant de porte et porte, ce qui nous vaut de magnifiques surcadrages, elle explore le bâtiment abandonné, les couloirs sinistres. Des pièces qui ne peuvent que rappeler de mauvais souvenirs à celles qui reviennent aujourd’hui, tant d’années après, pour une visite qui a une allure de thérapie.

Éveline, Édith, Michèle et Fabienne ont vécu une partie de leur adolescence dans ce qui était une institution, le Bon Pasteur, au Mans ou à Angers. Comment ont-elles abouti là ? Le film ne le précise pas pour chacune d’elle. Mais il est clair qu’elles ont été abandonnées par leurs parents. Certaines de leurs camarades d’infortune ont pu être placées par un juge. Une justice souvent expéditive, qui ne prend nullement en compte le point de vue de l’intéressée que de toute façon on ne fait pas comparaître. Aujourd’hui elles ont plus de 70 ans et bien sûr n’ont rien oublié. Devant la caméra d’Émérance Dubas elles vont faire le récit de cet enfermement.

Car il s’agit bien d’une quasi-prison.  Si les termes de maison de correction, ou de redressement, ne sont pas prononcés, il apparait nettement, au fil des récits croisés qu’ici internat rime avec internement. Les filles sont totalement coupées du monde extérieur. Soumises à une discipline qu’elles ne comprennent pas et qui n’est pas loin d’être totalement arbitraire. Même dans leur sommeil, elles sont placées sous la surveillance des sœurs. Et bien sûr à la moindre tentative de rébellion, à la moindre insolence, la punition se doit d’être exemplaire. Les punitions sont, nous raconte l’une d’elle, le plus souvent collectives, car aucune ne s’aviserait de se dénoncer ou de dénoncer une autre. Elle décrit alors avec une précision glaçante, la « bastonnade ». Mais le pire, c’est l’enfermement dans cette cellule isolée en haut du bâtiment, une petite pièce avec seulement un matelas sur le sol, un seau et des barreaux à l’étroite fenêtre. Après y avoir passé des semaines ou des mois, les condamnées en sortaient totalement brisées, incapables même d’écrire. Alors il n’était plus question de renouveler la fugue.

Le film ne fait pas ouvertement le procès de ces institutions et des religieuses qui y sévissaient, mais les témoignages qu’il recueille sont des pièces à charge incontestables. Des récits qui se déroulent toujours de façon particulièrement calme, sans colère, mais avec une énorme charge émotive, accrue sans doute par la présence de la caméra. Comment ces femmes ont-elles pu, malgré tout, construire une vie heureuse. Le film n’aborde pas le sujet. Mais la dernière séquence nous montre l’une d’elle au milieu de sa famille, sa fille et ses petites-filles, une jeunesse d’aujourd’hui pleine de vie. Leur sourire suffit à confirmer que l’époque des institutions genre Bon Pasteur est définitivement révolue.

Champs Élysées Film Festival 2022.

Par jean pierre Carrier

Auteur du DICTIONNAIRE DU CINEMA DOCUMENTAIRE éditions Vendémiaire mars 2016. jpcag.carrier@wanadoo.fr 06 40 13 87 83

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