Lettres à Pétain

Les Suppliques. Jérôme Prieur, 2022, 62 minutes.

Des lettres aux autorités françaises sous l’occupation, des lettres adressées au Commissariat général aux questions juives, et même directement au Maréchal Pétain, chef de l’État français. Des milliers de lettres. Pour supplier. Pour demander une aide. Des lettres de désespoir. Un dernier recours devant l’injustice.

Des hommes, des femmes, des enfants même, qui n’ont pas d’autres moyens pour venir en aide, pour essayer de sauver, un proche, un parent, un ami, un voisin, un employé…tous arrêtés parce que juifs, laissant un vide, un manque, devenu insupportable.

Une petite fille de sept ans écrit au Maréchal Pétain : « Je vous en prie, rendez-moi ma Maman ».

Toutes ces lettres témoignent concrètement, directement, de la réaction d’une partie de la population française devant la politique antisémite de la France de Vichy et de la collaboration. Elles sont écrites par des juifs en grande majorité. Mais pas seulement. Une partie des Français non juifs réagissent aux arrestations. Lorsqu’ils sont touchés affectivement d’abord. Ou par un intérêt particulier. Mais aussi parce qu’ils se sentent le devoir de protester contre l’arbitraire.

Vues d’aujourd’hui, ces lettres paraissent bien naïves. Comment imaginer que Pétain, où ceux qui sont à sa botte, puissent intervenir en faveur d’un.e juif.ve ? Faire une exception ? Aller contre ses propres lois ? Sont-ils aveugles devant le caractère implacable de la politique menée par l’occupant, défendue et mise en œuvre par la collaboration ?  Ou bien, tout simplement sont-ils incrédules parce qu’ils ne peuvent pas imaginer l’inimaginable. Comme les enfants qui ne comprennent pas ce qu’il leur arrive, qui ne mesurent pas le danger qui pèse sur chaque juif, ils font appel à ce qu’ils pensent être le fondement même de l’humanité, la pitié et la justice. Ils ne se rendent pas compte que toute humanité est en train de disparaitre chez ceux qui se sont mis au service des nazis.

Certains reçoivent une réponse, du commissariat aux questions juives. Une réponse qui est toujours une fin de non-recevoir. Des réponses brèves, toujours les mêmes en fait. Un rappel de la loi. Et l’impossibilité de ne pas la respecter. Des réponses où il n’y a pas la place pour l’émotion, les sentiments. Des réponses qui ignorent systématiquement la charge affective particulièrement intense de ces « suppliques ».

Le film de Jérôme Prieur met en scènes ces lettres de façon toute simple, mais qui se révèle particulièrement efficace. Elles sont lues en voix off par des actrices et des acteurs, des voix différentes mais qui ont le même rythme, la même tonalité. Toutes évitent le pathos, l’effusion, les effets qui pourraient être grandiloquents. De même au niveau des images. Des plans fixes rassemblent des objets qui pourraient avoir appartenu aux victimes. Mais surtout le cinéaste filme les lettres elles-mêmes, qu’elles soient dactylographiées ou manuscrites. Dans ce dernier cas bien sûr la graphie est en elle-même éloquente. Celle des enfants est appliquée essayant de ne pas trembler. Des lettres qui se veulent respectueuses mais qui sont la plus forte condamnation qui soit de la barbarie.

Dans le domaine du film d’histoire, on sait bien que le choix des archives est fondamental. Mais nous sommes au cinéma, et l’on ne peut mettre de côté la façon dont elles sont filmées. Les lettres des « Suppliques » ont la force de personnaliser les victimes de la Shoah, de sortir de l’anonymat ceux qui ne sont pas revenus des camps, de les resituer dans leur vie quotidienne, avec leurs relations familiales et sociales. Mais c’est parce qu’elles apparaissent dans une œuvre qui est avant tout du cinéma – et rien que du cinéma – qu’elles font œuvre de mémoire.

Festival International du Film d’Histoire. Pessac 2022

Par jean pierre Carrier

Auteur du DICTIONNAIRE DU CINEMA DOCUMENTAIRE éditions Vendémiaire mars 2016. jpcag.carrier@wanadoo.fr 06 40 13 87 83

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