Comment êtes-vous devenu producteur ?
D’abord, je suis devenu cinéphile, très amoureux du cinéma. La scène fondatrice de ma cinéphilie, quand j’étais enfant, quand j’étais dans la chambre de mes parents – j’ai eu une chambre à 10 ans, j’étais dans la chambre de mes parents jusqu’à 10 ans – et à la télévision il y avait un film que j’avais pas le droit de regarder, les yeux sans visage de Georges Franju, dans le cadre d’une émission qui s’appelait l’Avenir du futur consacrée aux greffes. J(avais pas le droit de le voir, mais j(avais très envie de le voir et je voyais des morceaux du film dans le miroir d’une armoire. Quand on parle de cinéma on parle de hors champ, ce qu’on décide de montrer et surtout de ne pas montrer. Mon imaginaire a été particulièrement stimulé dans ce type de situation. Pour moi c’était mémorable, j’avais très peur de le voir et très heureux de le voir ce film de Georges Franju. J’ai toujours été attiré par les raconteurs d’histoires. Le biais de mon plaisir est l’axe maître de mon travail. Ce qui me sert tous les jours, c’est la dramaturgie, l’art de raconter des histoires. Je considère que quand on écoute un auteur on est attentif à comment il va agencer son récit en ancrant tout son travail dans le réel. Mais on retrouve la dramaturgie dans le fait de vendre un film, de le proposer à un diffuseur, de chercher des partenaires financiers. Tout le temps dans le procèss de fabrication d’un film. Un documentaire est produit souvent par étapes, par petits morceaux. Continuellement on est en train de réinterroger le matériau qu’on a . De se demander ce qui manque, où est-ce qu’on va, est-ce que le film est en train d’évoluer. J’aide beaucoup les auteurs à écrire, à penser leur film. On écrit pour savoir ce qu’on cherche et on est souvent heureusement surpris de ce qu’on trouve, qui est légèrement différent de ce qu’on cherchait mais qu’on n(aurait pas trouvé si on n’avait pas pensé ce qu’on voulait chercher tellement le réel est foisonnant. Il faut faire des choix.
Donc comme je suis devenu producteur. J’ai eu d’abord le désir de devenir réalisateur. J’ai réalisé quatre courts-métrages de fiction. Mais dès le premier j’ai été repéré par un producteur pour mon travail de production spécifique sur ce court-métrage, où j’avais eu France télévision, le CNC. Et c’est un Monsieur qui est mort qui s’appelait Christian Zarifian, qui est un grand réalisateur de documentaires, au Havre. Qui avait créé l’unité cinéma de la Maison de la culture du Havre avec Vincent Pinel en 1968. J’ai fait mon premier film en 1993 et dès 1994, il me mettait à l’épreuve en devenant son bras droit en production, en me donnant son catalogue de films réalisés depuis 1968 jusqu’à 1994. Dedans on y trouvait des films de Luc Moullet, de Robert Guédiguian, des films de Jean Gomis, photographe de l’agence Magnum, moins connu que Depardon mais tout autant talentueux en matière de documentaire. Donc je suis devenu son bras droit. Je suis devenu producteur parce que j’ai senti dans le regard des autres que cette faculté que j’avais à vendre les films, ou les raconter, ou aider à ce qu’ils naissent était repérée. Cet homme-là m’a formé, j’ai fait plein de choses pour lui. J’étais assistant, attaché de presse sur une sortie nationale, un film qui était à Cannes qu’il avait réalisé, qui s’appelait les Romantiques. J’ai dû vendre une partie des films de son catalogue. J’ai fait de la direction de production, du secrétariat de production. J’ai organisé des événements comme des projections en plein air au Havre, dans des quartiers difficiles. J’ai fait venir des grands cinéastes au Havre, j’ai abimé des débats, Jean Pierre Mocky, plein de personnes très intéressantes. Et lorsque je l’ai quitté en 2000, il y a un cinéaste qui est venu me voir et qui m’a dit J’aimerais bien que tu me produises. J’avais pas de structure de production propre. Ce cinéaste c’était Harold Vasselin qui est réalisateur d’un film qui s’appelle Gens des blés. Il a fait aussi Comment Albert fit bouger les montagnes, avec Denis Lavant sur « l’invention » de la tectonique des plaques. C’est un ingénieur des mines, un scientifique. Son cinéma peut s’apparenter un peu à du Alain Resnais. Comment on prend des principes scientifiques pour en faire des films de cinéma. Lui avait une association et j’ai produit pour lui, à la fois un pilote de film de série scientifique et un premier film documentaire long qui s’appelait La Peur du vent et qui parlait de la reconstruction du havre par Perret. C’était un documentaire de création puisque la peur du vent c’était le premier sentiment que le réalisateur avait ressenti lorsqu’il avait 5 ans et qu’il arrivait dans cette ville en construction. C’était important pour moi. Et puis en 2007, après avoir rencontré d’autres personnes, j’ai décidé de créer d’abord très prudemment une association qui s’appelle Pays des miroirs, qui est membre de la ligue de l’enseignement.. Ça peut paraître excessivement prudent, pas très professionnel ; mais en 2007, lorsqu’on produisait du documentaire de création on n’était pas trop empêché pour accéder à des aides à la production si on était sous une forme d’association. Avec une association j’avais pas à provisionner des charges alors que dès qu’on crée une SARL ça coûte plus qu’une association.
Les premières choses que j’ai faites…D’abord j’ai investi de l’argent personnel. Maintenant, quand j’invertis de l’argent je n’investis surtout pas dans du matériel. Je n’ai pas le dernier banc de montage à la mode, ni la caméra à la mode. L’obsolescence programmée fait que ce matériel, ça ne vaut pas la peine que je l’acquiers. Je préfère investir dans des idées, dans des auteurs. Si je donne 2000-3000 euros à un auteur pour qu’il démarre l’écriture d’un projet. Si je crois en lui, je vais les récupérer assez rapidement. En 2013, parce qu’on produisait un film, La Mécanique des flux, un film qui a eu des aides très difficiles, très sélectives à avoir, comme l’aide au développement renforcé du CNC, on a senti que ce film-là pouvait prétendre à une sortie cinéma et ne pas faire un documentaire audio-visuel. Il est sorti en salle. Mais pour ça, pour compléter le budget il fallait une société et donc avec mon associé, Laurent Alary que je connaissais depuis des années nous avons créé Tell me films dont le siège aujourd’hui est en Nouvelle Aquitaine, à Anglet, où habite laurent, net l’établissement secondaire de la société est en Normandie où je vis. Par ailleurs j’ai beaucoup enseigné à l’université de Caen où j’ai créé un master professionnel Métiers de la production, en deux ans, qui a 10 ans de vie. La société a un capital de 45 000 euros. Donc on peut produire à destination du cinéma des longs métrages0. On peut prétendre à l’avance sur recette. On peut avoir un compte automatique. On n’est bridé pour rien, que ce soient des fictions, des longs métrages. On peut aussi distribuer des films si on le souhaite, mais ce n’est pas notre objectif. L’association, elle existe encore, elle permet d’aller chercher des mécènes, des fondations. Les deux structures travaillent conjointement, sauf cas exceptionnels où c’est une structure plutôt qu’une autre, quand on est en co-production avec quelqu’un d’autre que nous-mêmes.
Un producteur c’est un chef d’entreprise, mais c’est aussi un directeur artistique, tel que je le conçois. L’accompagnement d’un auteur, du début à la fin et même au-delà lorsqu’il s’agit des festivals, c’est le cœur de mon métier, ce qui m’intéresse le plus, c’est de rendre un film singulier, cohérent, qui trouve sa place pour être vu. Et si possible de bons films !