Un comté apocryphe. Geoffrey Lachassagne, 2023, 70 minutes
Contexte
Faulkner a écrit 20 romans, tous situés dans le comté de « Yoknapatawpha », une région imaginaire mais qui prend vie par la magie de l’écriture. Les romans de Faulkner, comme de tout écrivain, ne sont-ils pas influencés par les lieux où il a vécu, les lieux qu’il connaissait, qu’il a observés, et qui ont suscité en lui tant d’affects ?

Enjeu
Alors, pourquoi ne pas partir à la recherche de ce comté « dont l’authenticité n’est pas avérée ». Faulkner en a dessiné la carte. Une incitation à se rendre sur le terrain. Et filmer. Filmer des paysages, une rivière en premier lieu, puis des bois et des collines, des plantations d’arbres fruitiers, et pourquoi pas, plus tard des constructions, des usines et même l’intérieur de maisons. On dirait presque une errance au hasard des routes ou des chemins. Presque un road movie alors ? Pas vraiment. On y fait très peu de rencontres, même si quelques femmes et quelques hommes acceptent de poser silencieusement devant la caméra. Il y a en fait beaucoup plus de fantômes, tous ces indiens qui étaient maîtres des lieux avant l’arrivée des colons. Un voyage en tout cas qui vaut bien un feu d’artifice. Un voyage qui devrait nous dépayser, mais qui s’achève dans un trop connu centre commercial.

Personnage(s)
Falkner, seul personnage du film ! Le premier plan propose une photo de lui. La caméra s’approche lentement pour le cadrer de plus en plus serré. Pour le reste, ce sont les paysages qui sont des personnages, même s’ils ne sont pas habités.

Evaluation
Un film d’images, qui ne propose que des images. Sans dialogue, presque sans voix (quelques bribes, quelques rares mots brisent parfois le silence). Pourtant, il nous raconte des histoires, celles du sud de l’Amérique, du temps de Faulkner. Des histoires qui apparaissent par courts fragments, texte écrit en surimpression sur les images. Ce qui ne peut qu’ajouter au paradoxe global du film. Sommes-nous dans le réel ou dans l’imaginaire ? S’agit-il de visiter un comté du sud des Etats Unis ou de pénétrer par les images dans l’œuvre d’un écrivain américain célèbre ? Le paradoxe en fait finit en contradiction. Le cinéma et la littérature ici semblent se rapprocher, se compléter, se mêler. Mais peut-on à la fois, dans un même geste, pénétrer dans la beauté des paysages filmés et dans la froideur du texte écrit ? Tout se passe comme si le texte en se superposant à l’image venait en dénoncer l’insuffisance, la vacuité. Une confrontation, sans gagnant ? Mais n’y a-t-il pas dans le film plus d’images que d’écrit ?

Visions du réel, Nyon, 2023
Note 90/100
