Auschwitz

Sonderkommando, Auschwitz-Birkenau. Emil Weiss. France, 2007, 52 minutes.

            Dans le complexe concentrationnaire d’Auschwitz-Birkenau les Sonderkommando étaient des déportés spécialement sélectionnés par les nazis pour travailler, « un travail spécial » dans les salles de gazage et les fours crématoires où sont exterminés les juifs. Ils doivent essentiellement évacuer les corps les salles de gazage et les trainer jusqu’aux fours où ils seront incinérés. Un travail extrêmement pénible, surtout nerveusement, malgré le fait qu’ils bénéficient de vêtements propres et d’une bonne nourriture. Mais ils savent parfaitement qu’ils seront à leur tour exécutés. Les Sonderkommando sont renouvelés tous les quatre mois et leur premier travail est l’incinération du groupe précédent.

            En 1945, juste avant l’arrivée de l’armée rouge à Auschwitz, les SS essaient de faire disparaître les traces des camps. Ils dynamitent les salles de déshabillage, les salles de gazage et les fours crématoires. Ils exécutent les Sonderkommando, témoins les plus gênants. Cependant quatre d’entre eux réussissent à s’échapper et pourront témoigner dans les tribunaux de la terreur nazie. D’autre part, des cahiers manuscrits, rédigés en Yiddish, sont retrouvés dans des cendres à côté des crématoires, soit après la libération des camps, soit bien plus tard, jusque dans les années 70. Ecrits au jour le jour par des membres des Sonderkommando ; ils rendent compte avec une grande précision » du mode opératoire de la solution finale ». Dans un dispositif simple, mais terriblement efficace, le film de Weiss propose la lecture en voix off de ces textes sur des images actuelles du camp d’Auschwitz-Birkenau.

            Ces cahiers sont rédigés avec la volonté évidente d’être un témoignage révélant la stricte réalité. Ils évitent, du moins dans leurs textes inauguraux où les auteurs se présentent (identité, nationalité, profession antérieure), une trop grande effusion de sentiments. Pas de colère, pas de haine, un regard froid, des phrases purement descriptives des actions accomplies. Les noms des officiers SS sont mentionnés avec leurs grades. Les différentes modalités de mise à mort sont détaillées, de la file de personnes poussées vers leur assassin qui les exécute un à un d’une balle dans la nuque, à l’utilisation des granules qui libéreront le gaz mortel dans les bunkers. Munis de masques à gaz, les Sonderkommando doivent aussitôt désemmêler les corps inertes, empilés les uns sur les autres sous l’effet de la panique, les femmes et les enfants en bas, les plus forts au-dessus, dans la mesure où le gaz agit en montant du sol. Tous savaient bien pourtant qu’ils ne pouvaient pas échapper à la mort. Ils avaient d’ailleurs compris depuis longtemps quel sort leur était réservé.

            Ce côté froid, comme désincarnés, des textes est renforcé par le filmage des lieux vides de toute présence humaine. Dès le prologue, un long travelling part de la campagne environnante pour nous conduire à l’entrée du camp. Nous retrouverons ces plans d’arbres, de bois, d’herbes vertes, tout au long du film. Dans le camp, la caméra suivra les amoncellements de blocs de béton et les ruines des salles détruites. Une caméra qui explore cet espace désolé en mouvements lents. Des plans fixes montreront l’intérieur des baraquements où étaient entassés les déportés. L’épilogue filmera en banc titre les cahiers manuscrits. Il n’y a aucun effet visuel dans tout cela. Filmer ces lieux échappe à toute tentation spectaculaire. Rien dans les images ne peut distraire de la force des textes. Des textes où finit pourtant toujours par éclater la répulsion devant l’horreur. Leurs auteurs ne sont pas insensibles aux souffrances de ceux qu’ils conduisent à la mort. Eux aussi vivent l’enfer.

Les Sonderkommando seront les auteurs de la seule révolte ayant eu lieu à Auschwitz. Le film de Weiss n’est pas un hommage. Il vise simplement à ce que leur témoignage d’outre-tombe ne soit jamais oublié.

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Par jean pierre Carrier

Auteur du DICTIONNAIRE DU CINEMA DOCUMENTAIRE éditions Vendémiaire mars 2016. jpcag.carrier@wanadoo.fr 06 40 13 87 83

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