Agriculture belge.

Il a plu sur le grand paysage. Jean-Jacques Andrien. Belgique, 2011, 100 minutes.

         L’agriculture belge est en crise, comme dans toute l’Europe. La situation des producteurs de lait en particulier est dramatique. En 2009, les cours se sont effondrés, remettant en cause la survie des exploitations. Les éleveurs ont manifesté leur colère en déversant dans les près des tonnes de lait. Andrien filme cette action comme il se doit, en accentuant son côté spectaculaire. Des centaines de tracteurs sillonnant les champs devenus blancs, les gerbes de lait jaillissant des remorques, tout cela permet des images impressionnantes, qu’elles soient prise d’avion ou au raz de la terre. Mais justement, il s’agit de frapper les esprits, d’alerter les pouvoirs, de sensibiliser le public à une juste cause. Le film y contribue avec ses moyens propres. Efficacement.

         Il a plu sur le grand paysage n’est pourtant pas un film militant au sens traditionnel du terme. Le cinéaste part à la rencontre de ces agriculteurs installés depuis toujours dans cette région verdoyante quand elle n’est pas enneigée de l’ouest de la Belgique, tout près de l’Allemagne et des Pays Bas. Il les interroge sur leur vie, sur leur travail. Tous sont des passionnés. Peut-on d’ailleurs faire ce métier si l’on n’a pas le feu sacré ? Face à la caméra ils sont plutôt réservés, timides, répondant souvent brièvement aux questions. On sent qu’ils ne sont pas particulièrement habitués à manier la rhétorique langagière. Les premières questions sont toujours simples. Depuis combien de temps travaillent-ils dans leur ferme ? Combien de têtes de bétail possèdent-ils ? Quelle est la superficie de leur exploitation ? Les réponses sont précises, quantitatives. Les éléments de réflexion sont plus importants lorsqu’il s’agit de parler des évolutions qui se sont produites depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, et celles qui sont en cours dans le cadre de la politique agricole de l’Europe qui s’inscrit dans le contexte mondial du libéralisme triomphant. Tous sont inquiets sur l’avenir. En 2015 les quotas de production, qui jusqu’à présent ont plus ou moins réussi à maintenir le cours du lait à un niveau acceptable, doivent disparaître. De quel revenu les agriculteurs seront-ils assurés ? Ne seront-ils pas encore plus qu’aujourd’hui soumis à la loi des coopératives et de la grande distribution ? Lorsqu’ils abordent ces problèmes, les gorges se nouent, les larmes montent aux yeux de certains, l’émotion est intense, mais Andrien la filme avec beaucoup de pudeur, en préservant la dignité de ces hommes et de ces femmes qui ont accepté de parler devant la caméra.

         Les femmes sont bien sûr très concernées par ces problèmes. Le film interroge celles qui ont décidé de rester à la ferme, par amour des animaux et de la vie dans la nature. Elles partagent les tâches quotidiennes, à égalité avec leurs maris. Certaines exploitations sont reprises par les enfants. Mais ce ne sont pas les plus nombreuses. La succession reste le problème le plus angoissant pour ceux qui arrivent à l’âge de la retraite.

         Le film, pourrait-on dire, nous fait pénétrer dans la vie des vaches. Nous les voyons monter et descendre les escaliers menant à l’étable. Nous suivons la traite mécanisée, qui peut même être réalisée par un robot. Mais le contact entre l’homme et l’animal reste essentiel. Un des fermiers explique comment il veille à leur bien-être. L’hiver, elles aiment le froid et la neige, à condition qu’elle ne soit pas fondue. La vue de l’une d’elle (c’est l’affiche du film), comme perdue dans la rue enneigée d’une ville, est d’une grande poésie.

         Il a plu sur le grand paysage a tout à fait sa place dans la liste des grands films consacrés au monde paysan, de Rouquier à Depardon.

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Par jean pierre Carrier

Auteur du DICTIONNAIRE DU CINEMA DOCUMENTAIRE éditions Vendémiaire mars 2016. jpcag.carrier@wanadoo.fr 06 40 13 87 83

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