L’eau

La Ligne de partage des eaux. Dominique Marchais. France, 2013, 108 minutes.

         Dominique Marchais est un cinéaste rare. Son premier long métrage, Le Temps des grâces, remonte à 2009. Il aura fallu attendre cinq ans pour qu’il nous propose non pas une suite, mais le deuxième volet d’un diptyque. Une continuité donc, mais aussi un changement de point de vue. Là où Le Temps des grâces adoptait une vision historique, le nouveau film prend lui une dimension géographique. Il nous entraine des sources de la Vienne, sur le plateau de Millevaches, jusqu’à l’estuaire de la Loire, un immense territoire qui englobe bien plus que le fleuve, puisqu’il se définit comme le bassin versant de la Loire. Le bassin versant, c’est-à-dire « le plan inclinée vers la mer, la totalité de l’espace irrigué, pas seulement le trait de la rivière ».

Le film chemine lentement depuis le parc naturel dans le Limousin jusqu’aux zones d’activité industrielle ou commerciale autour de la métropole nantaise. Il n’oublie pas, en passant, les minuscules ruisseaux, où le saumon et les moules perlières sont en voie de disparition. Les chemins non plus, qui eux aussi disparaissent dans la campagne. Il emprunte les routes et les autoroutes tout autant que les rivières, un parcours où l’on croise une station d’épuration et une centrale nucléaire, des lotissements en périphérie des villes, et même des villages, où l’on construit des maisons toutes identiques.

L’eau est bien sûr omniprésente dans le film. Une eau mystérieuse lorsqu’elle jaillit quasi miraculeusement de la terre. Ou bien une eau dormante, mais qui est en fait une eau morte, lorsque dans les retenues des barrages elle rompt le fil des eaux vives. Une eau qui brille au soleil et où se reflètent la végétation de ses berges. Une eau qui est le lieu de vie de tant d’animaux, des poissons aux oiseaux en passant par les ragondins. Une eau qui, pour les hommes, est toujours un enjeu politique puisque c’est à son propos que se posent les questions d’écologie et de préservation de l’environnement comme celles de l’aménagement du territoire. Un film aquatique donc, mais qui se termine par un immense feu de joie lançant ses nuages d’étincelles dans la nuit, et autour duquel on chante et on danse.

Le film montre l’eau dans toute sa diversité, mais il insiste surtout sur la variété des activités qu’elle suscite et celles des personnes concernées. Nous rencontrons ainsi des agriculteurs défendant leur point de vue devant les « policiers des eaux ». Nous assistons à des réunions de conseils municipaux et intercommunaux, à des commissions locales plus administratives ou à des réunions publiques où s’exposent des positions réellement inconciliables mais qui réussissent quand même à préserver la possibilité du compromis. Marchais donne la parole aux élus, les maires d’un village comme Saint-Philibert de Grandlieu ou d’une ville moyenne comme Châteauroux. Il rencontre un environnementaliste et un industriel. Se succèdent ainsi à l’écran les riverains et les politiques, des pécheurs et des scientifiques, de simples citoyens et des responsables d’association. Rarement, le cinéma n’avait pénétré aussi concrètement au cœur de la vie démocratique quotidienne.

Le pré-générique du film montre des mains d’enfant assemblant en tâtonnant les pièces d’un puzzle. Cette image définit bien la nature du film qui va suivre, mais aussi celle du cinéma documentaire dans sa dimension à la fois ludique, artisanale et artistique.

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Par jean pierre Carrier

Auteur du DICTIONNAIRE DU CINEMA DOCUMENTAIRE éditions Vendémiaire mars 2016. jpcag.carrier@wanadoo.fr 06 40 13 87 83

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