Cinéaste américain. (né en 1930).
Après des études de droit à l’université de Yale, Wiseman devient enseignant de cette discipline à l’université de Boston, carrière qu’il abandonnera rapidement après la réalisation de son premier film, Titicut Follies en 1967. On peut cependant dire que c’est bien le droit qui le conduira dans la prison d’Etat Bridewater où sont incarcérés des criminels déclarés déments et donc non responsables. Du droit il gardera le gout de l’analyse des instances administratives, même si son œuvre déborde largement ce domaine.
S’il a réalisé essentiellement des documentaires (plus de quarante en une quarantaine d’années), on lui doit aussi deux fictions, La Dernière lettre, d’après l’œuvre de Vassili Grossman et Un Couple en 2022, donnant la parole à Sophie, l’épouse de Tolstoï.
. Passionné par le théâtre, il est l’auteur de nombreuses mises en scène, en particulier un Oh ! les beaux jours de Beckettà la Comédie française. Dans tous ses films il assure la prise de son en plus de la réalisation et de la production. Il a d’ailleurs créé sa propre société de production, Zipporah Films, ce qui lui assure une totale indépendance.
Titicut follies est un film qui occupe une place tout à fait exceptionnelle dans l’histoire du cinéma documentaire mondial. Premier opus d’une longue série de documentaires, on y trouve sous sa forme quasi définitive la méthode qui fera le succès de son auteur, un regard pénétrant tout en étant personnel sur les institutions américaines auxquelles il faut ajouter quelques films consacrés aux hauts lieux de la culture française. En second lieu, Titicut folies est l’exemple parfait d’une censure qui ne dit pas son nom, une censure qui n’est pas le fait du pouvoir politique mais qui, prenant la voie d’une attache juridique, est tout aussi efficace et constitue explicitement une atteinte à la liberté créatrice. De procès en appels, Titicut folies a été « interdit » pendant près de 24 ans !
Les titres de ses films disent clairement les sujets qu’il traite. On trouvera dans cette liste une grande unité, le souci de rendre compte du fonctionnement de la démocratie américaine telle qu’elle se concrétise en particulier dans les institutions publiques, mais aussi dans des organismes privés dont le rayonnement est nécessairement plus restreint mais renvoie tout autant à la vie quotidienne. Plusieurs films peuvent aborder le même sujet, parfois à deux ou trois dizaines d’année d’écart.
- Le système éducatif. En 1968, dans High School il filme à Philadelphie un lycée à la pédagogie plutôt traditionnelle. En 1994, High School II (la Central Park East Secondary School de New York) montre les évolutions fondamentales du système remplaçant une discipline autoritaire par une responsabilisation de plus en plus grande des élèves. L’université publique de Berkeley en Californie (At Berkeley, 2013) fait l’objet d’un film réalisé à un moment clé de son histoire, celui de la réduction des crédits publics pour cause de néolibéralisme. C’est l’avenir même d’un enseignement supérieur gratuit, et donc ouvert à tous, qui est ainsi remis en cause.
- L’ordre public et le système policier et juridique de répression. Dans Law and order, (1969), il filme un commissariat à Kansas City. Il montre la violence quotidienne mais aussi celle des policiers blancs sur les noirs (une prostituée noire est quasiment étranglée par le policier qui procède à son arrestation). Le tribunal pour mineurs est par contre une institution dont Wiseman montre l’efficacité (Juvenil Court, 1973).
- L’armée. Basing training (1971) aborde le service militaire et Manœuvre (1979) l’entrainement militaire sur la base de Fort Pork en Louisiane. Wiseman a par ailleurs filmé l’armée américaine en dehors des Etats unis, au canal de Panama (Canal Zone, 1977) et au Moyen Orient (Sinaï Field Mission, 1978). Enfin, en 1987, il filme la base Vandenberg en Californie où est situé le siège de commandement de l’armée de l’air et le fameux « bouton rouge » qui peut déclencher l’arme nucléaire.
- Domestic Violence II (2003) est consacré au traitement judiciaire de la violence conjugale et familiale dont il avait suivi les manifestations dans le premier film portant ce titre en filmant les femmes victimes de violence hébergées dans un foyer en Floride.
- Le système de santé. Il est abordé sous différentes formes. Le fonctionnement d’un hôpital (Hospital 1970), un service de prise en charge des malades en fin de vie à l’hôpital Beth Israël de Boston (Near death, 1988). En 1986, il consacre quatre films au handicap : Blind (les aveugles), Deaf (les sourds), Multihandicaped et Adjustement and work (adaptation et emploi). Chaque fois c’est la réalité de la maladie et de la souffrance humaine qui est au cœur du film.
- Les problèmes sociaux. Welfare en 1975 aborde le système d’aide sociale et Public housing (1997) celui du logement dans une banlieue de Chicago.
- Les animaux. Le laboratoire de Yecker où de savants étudient la sexualité des singes et pratiquent des expériences sur les animaux (Primate, 1974). Dans Meat (1976), on suit les bovins de leur élevage jusqu’à l’abattoir. On peut aussi considérer que des films comme Racetrack (1985) sur un champ de course et Zoo (1992) concernent aussi les animaux vus cette fois sous l’angle des distractions humaines.
- La mode et la consommation. Model (1980) avec les mannequins de l’agence Zoli , et The Store (1983), les magasins Neiman-Marcus à Dallas, temple du luxe et de l’argent.
- La vie culturelle et artistique. En 1995, Weiseman s’intéresse une première fois à la danse en filmant l’American Ballet Theater (Ballet), puis en 2011 il film le ballet de l’Opéra de Paris (La danse). En France il a réalisé deux autres films dans le domaine culturel, La Comédie française ou l’amour joué (1996) pour le théâtre et Crasy Horse (20 pour un tout autre type de spectacle. En 2014 son film National Galery sur le musée londonien est présenté au festival de cannes, hors compétition.
- Enfin, on peut citer des films qui ne rentrent pas vraiment dans une catégorie, Central Park (1989) sur le parc bien connu de New York, Aspen (1991) une station de ski, Belfast, Maine, une station touristique de la côte est, Boxing gym (2010), une salle de boxe à Austin au Texas.
Wiseman a souvent évoqué lui-même sa méthode de travail, une méthode déjà bien en place dès ses premiers films et qui sera appliquée par la suite avec de plus en plus de rigueur. Pas de variation, pas d’exception, pas d’entorse aux grands principes qui la fonde : absence de commentaire, aucun ajout de données explicatives, d’élément postérieur au matériau filmé sur le terrain, musique ou texte en surimpression ou en insert. Wiseman ne pratique pas non plus l’entretien, le jeu questions-réponses étant une intervention du cinéaste jugée perturbatrice de la réalité. Ce qui ne veut pas dire pour autant que la caméra soit capable d’enregistrer spontanément le monde tel qu’il est, sans y intervenir. Un film de Wiseman est bien le résultat d’un regard, un regard particulier, celui du cinéaste, rendu d’autant plus efficace que sa méthode de travail est appliquée en toute rigueur.
Pour tout repérage, Wiseman s’efforce, une fois son sujet choisi (l’institution et le lieu précis qu’il filmera), d’obtenir toutes les autorisations nécessaires. Il s’agit pour lui de s’assurer qu’il pourra tourner sans entrave, en toute liberté, sans avoir à renégocier constamment les aspects juridiques. Une précaution qui n’est jamais vaine quand on sait les problèmes et les ennuis que Wiseman connut pour certains de ses films, Titicut Follies en particulier sous forme de procès ou de violente polémique comme à propos de Primate en 1974.
Wiseman arrive alors sur le tournage sans idée préconçue, sans plan de travail préalable. Le tournage sera toujours long, tout un semestre pour At Berkeley par exemple. Il s’agit de s’imprégner le plus possible d’un domaine que le cinéaste avoue souvent ne pas connaître particulièrement. Il se refuse d’ailleurs de faire des recherches, d’accumuler des informations et des connaissances qui orienteraient son regard. La quantité de rushs accumulée sera importante, plus d’une centaine d’heures parfois. Wiseman est toujours attentif aux petits détails qui peuvent se révéler significatifs par la suite. Bref, il s’agit d’être partout, de tout voir, de tout enregistrer, du moins de ne rien laisser dans l’ombre. Wiseman ne revient jamais sur les lieux de tournage. Celui-ci doit s’effectuer dans la continuité. Le cinéaste ne s’accorde pas le droit de remord.
Puis vient le montage, une phase forcément essentielle en fonction de ce qui précède. Wiseman établit un premier montage, résultat d’une première sélection, mettant en quelque sorte bout à bout les séquences qui ont du sens par rapport à la réalité filmée. Puis Wiseman travail sur le rythme du film en gestation. Il ne cherche pas à suivre une chronologie qui serait celle du tournage. Il vise plutôt à mettre en œuvre un déroulement filmique spécifique, correspondant à une conception personnelle. Le montage chez Wiseman n’a pas pour but de créer une mise en condition du spectateur. Il n’orienta pas son regard. Il n’y a jamais d’effet de suspens dans ses films. Le réalisateur doit laisser libre le spectateur de construire sa propre appréhension de ce qui lui est donné à voir. Ce qui implique que le cinéaste ne propose surtout pas une interprétation qui ne pourrait qu’être artificielle.
Les films de Wiseman sont longs, presque six heures pour Near Death ou plus de quatre heures pour At Berkeley. Cette longueur peut être éprouvante pour le spectateur et constitue d’ailleurs un handicap pour la diffusion du film, même si At Berkeley a connu une carrière en salle plus qu’honorable. Cette longueur est la conséquence directe de sa conception du cinéma. S’il tourne longuement, c’est pour laisser à chaque situation le temps de se dérouler sans entrave. Le montage respectera donc la durée de chaque séquence. Rien de plus étranger au cinéma de Wiseman que l’esthétique du clip ou du spot. Ses films n’ont jamais une visée promotionnelle ou publicitaire. Ce ne sont pas des films de commande. Wiseman est incontestablement un cinéaste libre !
