Apolonia, Apolonia. Léa Glob, Danemark, France, Pologne, 2022, 116 minutes.
Jamais peut-être un film n’avait retracé la vie d’une personne avec autant de précision, et de passion. Pendant 13 ans, Léa Glob a filmé Apolonia S . Autant dire que son film est un portrait des plus intimes.

Une caméra omniprésente, qui se fait insistante, même si très vite on oublie celle qui filme, même si au fond elle n’a rien d’indiscrète, tant le lien qui unit ses deux côtés est étroit et serré. Si c’est bien Léa qui filme Apolonia, il y a aussi des plans où c’est Apolonia qui filme Léa. Mais ces plans ne sont donnés qu’à la fin du film de Léa, qu’une fois la vie d’Apolonia révélée dans son sens le plus profond, qu’une fois Apolonia devenue une artiste éternelle.

Le film montre donc comme Apolonia est devenue artiste, comment elle a toujours voulu devenir artiste, comment elle a plongé dans la peinture, dans une infinité de tableaux. Comment elle a réalisé une œuvre riche, dense, infinie. Combien a-t-elle pu peindre de tableau en un mois ? Sept, dix ? Peu importe. Les tableaux s’accumulent dans l’appartement d’Apolonia, dans l’atelier, sur les murs de la galerie où elle expose. Des tableaux qui sont filmés parce qu’ils jalonnent la vie d’Apolonia, parce qu’ils sont la vie d’Apolonia. Une vie qui est un art. Un art qui est une vie.

L’enfance d’Apolonia n’est pourtant évoquée que rapidement. Quelques photos et la vidéo de sa naissance, son premier cri lorsqu’elle est posée sur le ventre de sa mère. L’adolescence aura droit à plus de place. Ses parents ont une vie d’artiste. Ils ont fondé à Paris, dans un quartier populaire, ce qui deviendra un haut-lieu de l’underground, de l’art expérimental, de la création tous azimuts, le Lavoir Moderne. Un lieu qui visiblement fascine la cinéaste. Comme la vie de bohème que mènent Apolonia, ses parents et leurs amis, tous ceux dont la vie se confond avec l’art. La liquidation judiciaire du Lavoir sera la première déchirure pour Apolonia, la première blessure inguérissable.

Les rues de Paris, puis de New York, jusqu’à Rome et la consécration artistique de la Villa Médicis, le rythme du film est presque frénétique, un montage toujours rapide, jusqu’au moment où le deuil fait irruption dans la vie d’Apolonia. Le filmage deviendra alors inévitablement plus lent, posé. Apolonia doit faire face, immobile, à sa vie et à son œuvre.

Apolonia, Apolonia, est un film sur l’art, mais aussi un film sur l’amitié féminine. A côté de Léa apparaît une exilée ukrainienne, Oksana, connue comme ayant participé à la création des Femen, ce groupe d’activistes féministes dont les intervention coup de poing ont marqué tant de situations inattendues. Oksana sera un reflet d’Apolonia jusqu’à Los Angelès. Son suicide sera la seconde blessure qu’Apolonia aura à affronter, et qui fera basculer le film dans une tristesse infinie, atteignant Léa qui frôle la mort à la naissance de son enfant, la plongeant dans le coma. Reste l’art, qui va permettre à Apolonia de continuer à vivre.
Jamais peut-être un film n’avait aussi bien réussi à fondre dans un même élan l’art et la vie.
Visions du réel, 2023. Nyon, Suisse.

