Pierre Feuille Pistolet. Maciek Hamela, France-Pologne-Ukraine, 2023, 85 minutes.
Partir loin, fuir. Fuir la guerre, l’invasion du pays. Fuir les bombes. Tout quitter. Sa maison, ses voisins, ses amis, ses animaux. Ne presque rien emporter. Un ou deux sacs tout au plus. Quelques affaires de première nécessité. De quoi manger si possible. Ne plus pouvoir vivre dans une cave. Ne plus pouvoir vivre avec le bruit incessant des explosions. Ne plus supporter le bruit des bombes dans sa tête. Partir pour se mettre en sécurité. Pour éloigner ses enfants de la guerre.
Mais partir où et comment ? Il faut un véhicule, et de l’argent. Le voyage sera long, difficile, dangereux. Et sera-t-il possible de revenir un jour ? Quand ? Cette guerre peut-elle finir.
Maciek a un minivan. Il peut emporter 5 ou 6 personnes, des femmes et des enfants surtout, loin de la guerre, loin de l’Ukraine en guerre, jusqu’en Pologne où ces fuyards deviendront des réfugiés.

Maciek est cinéaste. Il va filmer cette fuite, ces fuites. Il filme son van et ceux qu’il transporte. Il filme cette fuite sur les routes de l’Ukraine vers la Pologne. Il filme la guerre vécue au jour le jour. La route peut être minée. Sur les chemins boueux il y a toujours le risque de s’enliser. Et l’on peut se trouver devant un pont détruit. Mais il faut passer coûte que coûte. Il faut se plier aux exigences des soldats aux checkpoints, montrer son passeport, ouvrir le coffre de la voiture. Passer, partir, fuir. Parce qu’il n’est plus possible de vivre dans ce pays en guerre, cette Ukraine envahie.
Le film de Maciek Hamela est donc d’abord un terrible regard sur la guerre, une guerre vécue du côté des civils, de cette population qui ne demandait qu’à vivre en paix. Une population qui subit de plein fouet les effets de la guerre, la mort et la destruction.

Tout au long de cette route incertaine, les immeubles détruits défilent, les chars et autres véhicules militaires détruits défilent aussi sur le bord de la route. La caméra qui filme droit devant la voiture, quand elle ne filme pas les passagers, fait parfois un léger écart sur la droite pour montrer ces carcasses calcinées. La voiture s’arrête rarement. L’urgent c’est de fuir, de continuer à fuir, une fuite que l’on devine sans fin.
Mais si la guerre est bien là, à chaque plan, le film concerne surtout ces Ukrainiennes et ces Ukrainiens qui fuient la guerre en s’entassant dans ce va, qui peut les mettre en sécurité de l’autre côté de la frontière. Pierre Feuille Pistolet est donc une galerie de portraits, une succession de personnages disparates, des hommes et des femmes, des enfants surtout qui, malgré la peur peuvent aussi manifester une certaine joie de vivre, comme cette petite fille qui joue à Pierre feuille ciseaux, en donnant au jeu un nouveau nom qui fera le titre du film.

Ces personnages, dont on ne sait parfois que le nom, racontent pourtant leur fuite, leur vie d’avant et celles sous les bombes, leur espérance aussi d’une vie en sécurité. Des fragments d’un vécu douloureux, avec ses drames (les séparations) et ses moments attendrissants (le souvenir de la vache « Beauté ».) On pourrait croire qu’il ne se passe rien dans ce film, rien que la fuite de la guerre. Et pourtant c’est toute l’histoire actuelle de l’Ukraine que ce van emporte avec lui.
Réaliser tout un film (ou presque tout un film) dans une voiture est un véritable exploit cinématographique. Dans le van de Maciek, il n’y a que deux cadrages possibles. Le chauffeur-cinéaste et ses passagers, tout au plus trois au premier plan et deux ou trois autres derrière eux. Et cela ne peut que se répéter tout au long du film, malgré les vues sur l’extérieur. Mais cette nécessaire répétition ne provoque aucun ennui, car c’est tout un peuple qui voyage avec nous. Un peuple brisé par la guerre et qui n’a plus d’autre solution que l’exil. L’action de solidarité de Maciek peut bien sembler dérisoire. Mais son film est là pour témoigner qu’il reste encore une possibilité d’échapper au chaos.

