L’homme qui peint des gouttes d’eau. Brigitte Bouillot et Oan Kim. France-Corée du sud, 2020, 79 minutes.
Pourquoi peindre des gouttes d’eau ? Pourquoi ne peindre que des gouttes d’eau. De grands tableaux, avec des fonds neutres, et les gouttes, tout simplement. D’où vient cette manie, cet acharnement, cette passion ? La recherche de la perfection peut-être. Alors, pourquoi pas les goutes d’eau.

Kim Tchangyeul, ce peintre coréen célèbre, a une réponse. « La goutte d’eau n’a aucune signification. » C’est plutôt par hasard qu’il s’est mis à les peindre, à ne peindre plus que des gouttes d’eau. Une révélation à Paris, un moment de son itinéraire -Paris après New York. Il se cherchait lui-même et s’interrogeait certainement sur son art, sur sa poursuite. Alors la goutte d’eau s’est imposée à lui et elle va devenir omniprésente dans ses tableaux. De l’extérieur on ne peut comprendre cela que comme une obsession. Portant son fils qui le filme ne s’oriente pas, ne nous oriente pas, vers une explication psychologique. Encore moins psychiatrique. Le peintre ne donne guère d’indication sur sa pratique, en dehors d’une remarque, simple mais fondamentale. « Peindre des gouttes d’eau, c’est effacer toutes les mémoires, tout le mal, les angoisses par l’eau. »

Le film nous montre le peintre au travail. Avec un mince pinceau, une petite retouche de ci de là. Il nous montre aussi des expositions de l’œuvre, des spectateurs qui passent devant les toiles, sans exprimer une quelconque réaction. Il nous montre aussi l’œuvre. Dans une séquence remarquable, les tableaux plein cadre défilent et la voix off du fils -une voix présente tout au long du film- désigne d’un mot, d’une expression, d’un adjectif, ce que sont ces gouttes d’eau. L’affirmation de la diversité, de la richesse. L’univers entier dans une goutte. Et tout l’art aussi. Paradoxe absolu par rapport à l’absence de signification affirmée par ailleurs.

Pendant tout le film, le peintre ne cherche aucunement à nous surprendre, ni même à nous interroger. Encore moins à nous perturber. Il est d’une modestie immense, indéfectible. Mais c’est pour cela qu’il suscite l’admiration.

Le film de Brigitte Bouillot et Oan Kim est réalisé du point de vue du fils du peintre. Un fils aimant et admiratif. Il nous guide dans la vie de son père, les différentes étapes de sa carrière. Il souligne son attachement à son village natal. Un attachement qui s’éclaire par la référence à la Corée, un pays fracturé. Un pays qui a connu la guerre, et le peintre ne l’oublie pas. Pourtant sa vie actuelle semble particulièrement sereine. Comme si après tout ce temps passé à peindre des gouttes d’eau, il avait atteint « l’illumination ». Comme le moine Bodhidharma qui, pour rester éveillé pendant ses méditations, s’était coupé les paupières.

Kim Tchangyeul pourtant ne voudrait certainement pas être considéré autrement que comme un homme simple, qui ne cherche sien d’autre que de vivre simplement au milieu de sa famille. Mais peut-on oublier son art, sa vie consacrée à l’art ?

L’homme qui peint des gouttes d’eau est un hommage d’un fils à son père. C’est aussi une ode en l’honneur de l’eau. L’eau calme des ruisseaux ou impétueuse des torrents. Et la mer où le peintre aimant tant dans sa jeunesse, nager jusqu’à disparaître au-delà de la ligne d’horizon. Une belle image parfaitement cohérente avec l’ensemble de sa peinture.
Festival Vrai de vrai, Scam, 2023.
