LITTLE GIRL BLUE

Little girl blue. Mona Achache, 2023, 95 minutes.

Faire revivre sa mère décédée, Carole Achache, c’est possible grâce à la magie du cinéma. Et c’est ce que va entreprendre Mona Achache dans son film Little girl blue. Un pari largement réussi.

Pour ce travail, la réalisatrice va utiliser plusieurs moyens. D’abord elle va rassembler, des archives, personnelles ou non. Des photos en nombre considérable dans la mesure où la disparue était aussi photographe. Mais aussi des écrits, dont son livre Fille de…et tous les écrits, intimes pour la plupart qui ont jalonnés sa vie : des lettres, des agendas, des carnets personnels recouverts souvent de simples phrases notées au jour le jour. La récolte de ces documents est considérable, comme si l’intéressée avait passé sa vie à les accumuler.

Pour compléter tout ça, la cinéaste va rassembler des documents médiatiques revoyant à la vie de sa mère. Des extraits de films, d’entretiens radio et télé, des enregistrements personnels et des images d’actualité. C’est ainsi que nous pouvons voir des personnes célèbres qui ont comptées dans la vie de Carole. Jean Genet principalement et des écrivaines que la mère de Carole avait rencontrées dans son travail chez Gallimard, Marguerite Duras ou Marguerite Yourcenar et Violette Leduc, et aussi Jorge Semprun.

Et comme les événements de Mai 68 ont marqués la vie de Carole, des images des manifestations parisiennes – des images violentes – sont aussi convoquées.

Mais le plus original, ce qui donne au film sa dimension unique, c’est l’introduction par la réalisatrice d’une actrice, Marion Cotillard en l’occurrence, pour incarner sa mère Carole. Et cette incarnation va être quasi absolue. L’actrice de fond dans son personnage, au point qu’on en vient très vite à oublier qu’il s’agit d’une actrice, si du moins on ne prête pas attention aux subtils rappels à la réalité de la situation introduits pas la réalisatrice (l’actrice répétant son « rôle » par exemple.) Du coup nous assistons à une véritable osmose entre fiction (le jeu de l’actrice) et récit autobiographique en première personne, ce qui nous renvoie du côté du documentaire. Il y a bien ici un réel (la vie de Carole), raconté comme tel – et le film peut être considéré comme appartenant au cinéma du réel – mais il est aussi raconté dans une fiction, sous une forme fictionnelle, puisqu’il est interprété par une actrice. On ne peut sans doute pas dire qu’il s’agit d’une autofiction puisqu’à aucun moment il ne cache sa dimension documentaire, l’artifice de l’interprétation par une actrice étant affirmé dès l’incipit et par petites touches tout au long du film. On oserait presque parler d’un « autodocumentaire », d’un documentaire de soi qui userait de façon particulièrement habile des ressources du cinéma, et en particulier ce qui fait sa caractéristique première, la transformation d’une actrice (d’un acteur) en un personnage.

Carole Achache revit grâce au film de sa fille. Qu’elle soit vivante après sa mort est bien sûr une fiction. Mais sa vie telle qu’elle est ici filmée, n’a rien d’imaginaire, même si elle est interprétée par une actrice. Le cinéma nous avez déjà proposé des films où un documentaire devient fiction, parce qu’il est traité sous une forme fictionnelle (ce qui est une des caractéristiques de la modernité documentaire), ou des films où une fiction devient documentaire, parce qu’elle utilise les formes propres au documentaire comme par exemple Sans toit ni loi d’Agnès Varda. Avec Little girl bleu, documentaire et fiction ne font plus qu’un, un nouveau type de film qui serait la quintessence même du cinéma, Lumière et Méliès enfin réconciliés.

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Par jean pierre Carrier

Auteur du DICTIONNAIRE DU CINEMA DOCUMENTAIRE éditions Vendémiaire mars 2016. jpcag.carrier@wanadoo.fr 06 40 13 87 83

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