Quelque chose des hommes. Stéphane Mercurio, 2015, 27 minutes.
Un dispositif cinématographique nait toujours d’une idée. Une idée point de départ donc, mais qui va se concrétiser, se développer, sous une forme particulière, précise, rigoureuse, une forme cinématographique, originale peut-être, nouvelle dans le meilleur des cas. En tout cas une réponse à la question « comment une idée devient film ».
L’originalité du film de Stéphane Mercurio, c’est qu’elle part du dispositif d’un photographe, Grégoire Korganow, une idée donc qui n’est pas la sienne, mais qui devient partie prenante de son film, qui devient un dispositif de son film. Un film donc qui est un dispositif de dispositif.
Le photographe Grégoire Korganow réalise une série de photos sur le thème père-fils. Il demande donc à ce couple particulier, un père avec son fils, de poser devant son appareil, torse nu. Une série de photos posées – les deux personnages sont immobiles – avec un éclairage artificiel – nous sommes en studio – et sur fond noir.
La cinéaste elle, place sa caméra en retrait dans le studio, cadrant tour à tour le photographe derrière son appareil posé sur pied, et le père et son fils posant devant le photographe. Pas vraiment des champs-contrechamps, puisque la scène est filmée « de profil » si l’on peut dire, c’est-à-dire de côté, ou de biais, les gros plans de face étant réservés aux photos réalisées (sous forme d’insert) ou aux deux personnes photographiées, prenant la pose.
Le film a ainsi pour premier objet de montrer le travail d’un photographe réalisant une série de photos en studio sur un thème précis. Nous voyons le réglage des éclairages, disposer les personnages à sa convenance, et déclencher lorsque tout est au point. Il n’y a pas d’explication, pas de commentaire, mais le dispositif de tournage, la mise en scène cinématographique du dispositif photographique, a en soi valeur de document sur la fabrique des images (ici des photos). Ce qui aussi, par ricochet, nous dit aussi comment se fait le cinéma.
Et puis, il est question de la relation d’un père avec son fils, et d’un fils avec son père. Le choix des « couples » est particulièrement judicieux, présentant une vraie diversité, d’âge principalement – les pères allant de jeune homme à grand-père, et les fils de bébé ou enfant à homme mûr. Les quelques mots qu’ils échangent, la façon dont ils se regardent ou pas, leurs gestes et la façon dont ils se touchent (à la demande du photographe) révèlent le sens de leur relation, sens devant être ici compris à la fois comme signification et comme sensation. Une relation père-fils faite d’amour certainement, d’admiration sans doute aussi du côté du fils. Le père protège le fils, lui permet de vivre en sécurité. Le fils donne au père sa raison de vivre.
Un film d’une grande beauté plastique, grâce au travail du photographe montré à l’écran. Mais en même temps, grâce au travail de la cinéaste, cette beauté prend un sens psychologique, voire philosophique, pour devenir ce que Gilles Deleuze nomme une « logique de la sensation ».
