Jeunesse chinoise

Jeunesse (printemps). Wang Bing, France, Luxembourg, Pays-Bas, 2023, 215 minutes.

L’industrie textile, la jeunesse, le cinéma, c’est « la règle de 3» du dernier film de Wang Bing.

Ce film a été projeté à Cannes en 2023, en sélection officielle, d’où il est reparti sans aucune distinction si ce n’est les louanges unanimes de la critique.

 Nous sommes donc dans la ville de Zhili, à une centaine de kilomètres de Shanghai, une ville entièrement consacrée à l’industrie textile c’est-à-dire à la fabrication de vêtements peu chers, pour enfants essentiellement et qui vont pouvoir inonder le marché ‘intérieur tout en étant destinés à l’exportation.

Ces vêtements sont fabriqués dans de petits ateliers avec pour seul matériel des machines à coudre et pour ouvriers de jeunes garçons et filles autour de la vingtaine (15 ans pour les plus jeunes) tous originaires de la campagne et venus en ville pour gagner quelques sous qui leur permettraient de revenir dans leur village pour acheter une maison et fonder une famille.

Ces ateliers vraiment peu accueillants, avec leur éclairage blafard au néon et le bruit étourdissant des machines à coudre, pullulent dans la ville et Wang Bing qui a travaillé là pendant presque 5 ans en film quelques-uns qui semblent s’enchaîner à la suite les uns des autres dans le film sans transition, des ateliers sans doute pris au hasard puisque de toute façon ils se ressemblent tous. Aussi laids les uns que les autres, comme d’ailleurs les habitations, les dortoirs où les jeunes ouvriers sont logés pour dormir et passer les quelques heures de repos que leur laissent les exigences du travail. Un travail extrêmement répétitif et donc sans intérêt. Il faut pour pouvoir le supporter mobiliser toutes les ressources et l’énergie de la jeunesse.

Si le film de Wang Bing est une plongée au cœur de la puissance économique chinoise (sa face obscure bien sûr) c’est aussi une rencontre particulièrement saisissante avec la jeunesse chinoise. Une jeunesse qui ici n’a rien de commun avec ces jeunes cadres vivant dans de luxueuses résidences toute neuves à Shanghai ou dans les autres villes. Le cinéaste nous montre des jeunes issus de la campagne, des jeunes qui n’ont rien de paysans et qui d’ailleurs ont quitté leur village et leurs familles pour faire leur vie. Une vie dont le seul horizon semble être le tissu et les machines à coudre.

Mais n’y a-t-il pas chez eux quelque chose de l’universalité de la jeunesse une adolescence qui n’en finit pas de finir, devenir adulte à portée de main mais qui semble s’éloigner dès qu’on s’en approche. Ces jeunes des ateliers de textile de la Chine contemporaine ont certes des conditions de vie spécifiques mais le film ne laisse aucun doute : pour eux aussi la vraie vie est ailleurs.

Pourtant Wang Bing filme aussi des garçons qui semblent particulièrement impliqués dans leur travail. Un travail qu’ils effectuent en tout cas avec une énergie folle, comme s’il s’agissait d’aller toujours plus vite. La première séquence du film donne d’ailleurs le ton. Une course de vitesse vient d’avoir lieu, c’est à celui qui finira son lot de tissus le premier et une jeune fille proclame haut et fort qu’elle est vainqueur. Consécration sans lendemain.

Il n’en reste pas moins que pour supporter l’ennui et la fatigue de ces longues heures de travail ils ont tous besoin de dérivatifs Ils les trouvent essentiellement dans les chamailleries entre garçons et filles et les jeux de la séduction. Les ateliers sont ainsi souvent des arènes de luttes plus ou moins ouvertement érotisées mais toujours dominées par les cris et les rires éclatants. Des jeux qui se poursuivent dans les dortoirs même si les moments de calme sont aussi propices à la réflexion et aux confidences

Sérieux, ils savent très bien l’être aussi. Surtout lorsqu’il s’agit de négocier avec les patrons une augmentation de leur maigre salaire, arguant de la difficulté de certaines tâches. Ces scènes de dialogues de sourds (ici comme partout les patrons sont intraitables) se répètent dans plusieurs ateliers. Ils n’obtiennent que quelques broutilles. Mais que peuvent-ils faire d’autre que de retourner au travail.

Après les difficultés de l’industrie traditionnelle filmées avec éclat dans l’inoubliable A l’ouest des rails, après la dénonciation des crimes de la révolution culturelle (dans Fengming, chronique d’une femme chinoise et Les Ames mortes), Wang Bing poursuit l’exploration de la face cachée de la Chine contemporaine en se penchant sur cette jeunesse laissée pour compte des nouvelles richesses. Des films très contestataires et celui-ci ne fait pas exception même s’il n’attaque pas le régime de front. Mais en filmant une jeunesse dont la seule réussite semble être de revenir dans leur village comme le montre la dernière séquence, c’est dire clairement que l’avenir du pays n’est pas vraiment rose.

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Par jean pierre Carrier

Auteur du DICTIONNAIRE DU CINEMA DOCUMENTAIRE éditions Vendémiaire mars 2016. jpcag.carrier@wanadoo.fr 06 40 13 87 83

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