Une loi

Génie helvétique (Le) Jean-Stéphane Bron. Suisse, 85 minutes

         Automne 2001. Une commission de 25 parlementaires se réunit au palais fédéral pour élaborer un texte de loi concernant le génie génétique. Cette loi, nommée Gen Lex, représente des enjeux fondamentaux au niveau de l’environnement, de la consommation, de la recherche et de l’industrie. On peut prédire que ce ne sera pas facile.

         Le film de Bron nous introduit dans les coulisses du travail de la commission, c’est-à-dire dans les couloirs menant à la salle où elle se réunit, mais restant devant la porte close, puisque les débats de la commission doivent rester secrets. Ce qui n’empêchera pas tous les participants de venir devant la caméra exposer ce qui se déroule dans ce secret.

         La seconde partie du film nous conduira à l’assemblée réunit en plénum pour voter la loi. Dans les deux cas, nous sommes au cœur de l’exercice du pouvoir politique. Nous suivons les transactions entre les partis, les revirements d’alliance, les changements de positions personnelles. Il en ressort une première impression qui ne sera aucunement démentie : en politique, rien n’est joué d’avance.

         Le vote d’une loi sur un sujet aussi controversé que le génie génétique ne pouvait que donner lieu qu’à un véritable suspens. Chaque camp met en œuvre tout ce qu’il peut pour faire triompher ses vues. La démocratie apparaît ainsi comme une longue série d’affrontement où les positions personnelles ont tendance à passer au premier plan. Sans oublier les intrigues de coulisse et l’influence des lobbys. Une construction théâtrale ne pouvait que s’imposer tout naturellement au cinéaste.

         Le premier acte présente les personnages. La caméra les suit à leur arrivée pour la première séance. Nous prenons connaissance de leur identité, de leur appartenance politique, et de leur itinéraire personnel, en particulier professionnel. Le « plateau » va des écologistes à la droite conservatrice en passant par les socialistes, les libéraux, le parti radical et la démocratie chrétienne. Certain sont ou ont été paysans. Un autre a travaillé dans une entreprise pharmaceutique dont une filiale est en pointe sur le marché des semences génétiquement modifiées. Le ton employé dans ces portraits laisse entrevoir de quel côté penche le cinéaste !

         Le deuxième acte se déroule devant la porte de la commission. Chaque participant vient tour à tour exposer sa position, donner son opinion sur l’issu possible des travaux et aucun ne se prive de lancer des attaches plus ou moins directs à ses adversaires. Ils jouent aussi le rôle de journalistes, commentant l’ambiance (« ça a chauffé ») et continuant la discussion devant la caméra. Le cinéaste saisit aussi les conciliabules entre amis politiques et les oppositions d’idées entre adversaires. Bref, le débat se poursuit en dehors de la salle de la commission et on finit par en savoir autant que si on assistait réellement aux séances. La commission va-t-elle proposer un moratoire ? Le résultat du vote est incertain jusqu’au bout. Tout se joue à une voix. Le moratoire est adopté à 13 voix contre 12. Mais tout n’est pas encore joué. Rendez-vous dans quatre mois pour le vote en plenum. Pour les perdants du jour, tout est encore possible.

         Les « acteurs » ont sans doute besoin d’un peu de repos et le spectateur d’un petit entracte. Bron filme les membres de la commission revenus chez eux, en vacances en famille, à la campagne ou à la montagne. Chacun recharge les accus pour la confrontation finale. Et en effet, elle a bien lieu, plus âpre et plus incertaine qu’on avait pu l’imaginer. Le travail du cinéaste est d’une précision extrême. Chaque intervention à la tribune est filmée dans sa conclusion ou son propos essentiel ; chaque contact en coulisse est quasiment espionné par une caméra parfois bien indiscrète. Rien n’est laissé dans l’ombre et le film met à notre disposition bien plus d’élément que les participants peuvent en réunir individuellement. Une séquence au montage rapide, à la limite du stop motion, pousse la dramatisation à son comble. Et les votes successifs sont filmés avec un cérémonial particulièrement efficace, les visages des principaux personnages du film se tournant, inquiets vers l’écran où ils s’affichent après une fraction de seconde d’attente qui dure une éternité.

         Contre toute attente, le moratoire est repoussé. Le film laisse entendre que les influences extérieures ont fini par être efficaces. Une vraie leçon de science politique.

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Par jean pierre Carrier

Auteur du DICTIONNAIRE DU CINEMA DOCUMENTAIRE éditions Vendémiaire mars 2016. jpcag.carrier@wanadoo.fr 06 40 13 87 83

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