En Russie

Still from the film "Ordinary Life." 2023. Director Alexander Kuznetsov

Une vie ordinaire. Alexander Kuznetsov, France, Suisse, États-Unis, 2024, 93 minutes

Ce film est la suite du Manuel de libération d’Alexander Kouznetsov que nous avions découvert en 2016 au festival Visions du réel à Nyon en Suisse. Nous y avions rencontré Yulia et Katia, deux jeunes filles orphelines qui avaient été placées d’autorité dans un internat neuropsychiatrique. En fait, il s’agissait d’une véritable prison. Aucun droit de citoyenne ne leur était reconnu, aucune liberté non plus.

Le film de Kuznetsov montrait en détail la lutte engagée par ces deux jeunes filles pour faire reconnaître leurs droits et accéder à la liberté. Un combat long et incertain qui se termine pourtant sur leur victoire. Yulia et Katia se voit enfin reconnue la possibilité d’avoir une vie indépendante. Manuel de libération était un film chargé d’émotion, tant cette conquête de la liberté a une résonance politique, dans cette Sibérie russe qui résonne encore des pires souvenirs. Ayant enfin échappé à l’arbitraire de la bureaucratie russe Yulia et Katia vont-elles pouvoir concrétiser leurs rêves d’une vie émancipée et trouver un bonheur bien mérité ?

Nous les retrouvons donc dans Une Vie ordinaire, un titre qui dit bien ce qu’est devenu ce qui faisait leur rêve. Elles ont un appartement, un mari, des enfants. Ont-elles tout pour être heureuses ? Leur vie est sans problème apparent, sans aspérité. Une vie qu’on pourrait considérer, de notre point de vue occidental, comme bien étriqué. Yulia et Katia désirent-elle plus qu’elles ont ? Peuvent-elles désirer plus ?

Il y a dans la démarche de Kuznetsov une dimension critique presque ouvertement revendiquée. Le film débute en effet par le filmage d’une manifestation contre la guerre que l’armée de Poutine vient de déclencher en envahissant l’Ukraine. Yulia et Katia ne n’expriment pas de position politique. Mais cette première séquence ne peut pas ne pas rester présente à nos esprits tout au long du film. Cette vie ordinaire n’est-elle pas un bonheur bien factice alors qu’elle se déroule dans un pays qui vit sous le joug d’une dictature. Du coup Yulia et Katia ne sont-elles pas le symbole d’une population qui n’a plus d’esprit critique et aucune velléité de contestation. A la fin du film précédent, elles étaient libérées. Mais ne sont-elles pas tombées dans une autre sorte de servitude ?

Mention spéciale du jury de la compétition nationale. Visions du réel 2024.

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Par jean pierre Carrier

Auteur du DICTIONNAIRE DU CINEMA DOCUMENTAIRE éditions Vendémiaire mars 2016. jpcag.carrier@wanadoo.fr 06 40 13 87 83

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