Perdition en Jazz. Chet Baker.

Chet Baker, let’s get lost. Bruce Weber, USA, 1988, 120 minutes.

Chet Baker, une vie. Une vie de musique de jazz, de succès, de femmes, de drogue, de déchéance physique. Une vie mouvementée que le film retrace avec beaucoup de précision et de sincérité, mais sans jamais tomber dans l’excès, le sordide ou l’ostentatoire.

Le cinéaste est un ami de Chet, et ça se sent. Le musicien est filmé au plus près ; dans son intimité, seul ou au milieu de ses amis et de sa famille. Et lorsqu’il ne le filme pas en direct, il utilise des photos. Cette multitude de photos sont toujours filmées très rapidement, avec des mouvements de caméra leur donnant beaucoup de vie, et un montage particulièrement vif, très vivant donc. Car Bruce Weber est avant tout, avant même d’être cinéaste, photographe, un grand photographe et ça se sent à chaque plan du film.

Le film d’un photographe donc, en noir et blanc, un noir et blanc qu’on ne peut qualifier que de photographique, un noir et blanc tout à fait extraordinaire, comme on en voit peu aujourd’hui (mais le film date de 1988 sa restauration aujourd’hui est exemplaire.) Bruce Weber filme beaucoup les visages, surtout celui de Chet lorsqu’il chante en studio devant un micro ou penché sur sa trompette, ou dans ce plan récurrent du visage de Chet entouré de ceux de deux femmes dans une voiture décapotable. Une image sombre avec beaucoup de grains, une image où l’on sent le vent et surtout les années qui passent et la lente descente aux enfers.

La musique de Chet est bien sûr omniprésente dans le film. Lorsqu’on ne le voit pas chanter ou jouer de la trompette, on l’entend en fond. Chet a joué avec les plus grands comme Charlie Parker ou Gerry Mulligan .Et très tôt, il a connu le succès. C’est peu dire que le jazz est toute sa vie. De la Californie de ses débuts nous le suivons en Europe, à Paris, à Cannes où nous avons droit à une magnifique interprétation de Almost Blue devant un public de stars de festival qui accède à la demande de Chet de l’écouter en silence. Un grand moment de d’émotion.

Dès le début du film, nous assistons à une confrontation du présent et du passé. Aux images du Jeune Chet, un véritable jeune premier d’une beauté éclatante, succède l’image plus connue du Chet de la maturité, on pourrait sans doute dire aussi de la vieillesse, bien qui n’ait après tout qu’une soixantaine d’années. Une image de ce visage buriné, couvert de rides. Un visage défiguré par le souffle dans la trompette, un visage qui n’exprime plus que les effets de la drogue. Pourtant cette vie plus qu’agitée est abordée par le cinéaste avec beaucoup de pudeur. La drogue Chet n’en parle qu’à deux ou trois reprises et nous ne le voyons jamais se piquer. Il n’en reste pas moins que la drogue et condamnée de bout en bout, et n’est jamais donné comme source d’inspiration pour la musique. Elle ne peut être que source de mort.

Dans la liste des films centrés sur la musique, à côté de ceux tout autant inoubliables consacrés, par exemple, à Éric Clapton (Eric Clapton : Life in 12 Bars de Lili Fini Zanuck, 2018) ou Michel Petrucciani (Michel Petrucciani de Michael Radford,2011) ce Chet Baker, let’s get lost tiendra une place de choix. Plus qu’un hommage à un chanteur ou à un instrument, la trompette, peu souvent mise au premier plan, ce film est une remarquable célébration de l’alliance de la musique et du cinéma.

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Par jean pierre Carrier

Auteur du DICTIONNAIRE DU CINEMA DOCUMENTAIRE éditions Vendémiaire mars 2016. jpcag.carrier@wanadoo.fr 06 40 13 87 83

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