Rêves d’émancipation en Égypte.

Les filles du Nil. Nada Riyadh, Ayman El Ami. Égypte, France, Danemark, Qatar, Arabie saoudite • 2024 • 102 minutes

Un groupe de jeunes filles – Majda, Haidi, Monika, Marina, Myriam, Lydia, volontaires, déterminées, militantes, combattantes – fondent une troupe de théâtre de rue. A leur répertoire, la lutte contre le mariage précoce et la formulation de leurs rêves : devenir comédienne, chanteuse, danseuse. Mais dans cette Égypte profonde, ces revendications féministes d’émancipation ont-elles des chances de faire vaciller, tant soit peu, la tradition, la religion et le pouvoir masculin ?

Le film de Nada Riyadh et Ayman El Ami plonge donc dans les rêves de cette génération qui espère trouver dans l’expression artistique le moyen de conquérir des droits qui sont loin de leur être reconnus. Un tableau plutôt pessimiste. Toutes, sauf une – Majda, celle qui est à l’origine du projet théâtral – finissent par rentrer dans le rang. Fiançailles, mariage, maternité, elles n’échappent pas à ce destin tout tracé. Madja, elle, part pour Le Caire s’inscrire à une école d’art dramatique. Le film reste en suspens quant à son succès. Mais le virus est contagieux. La dernière séquence nous montre la jeune génération qui prend la relève. Dans les rues de la ville, avec des instruments faits de bric et de broc, de très jeunes jeunes filles alertent la population en rythme. Les slogans n’ont pas changé.

La vie quotidienne des protagonistes et de leurs proches (la famille surtout) est présentée avec beaucoup de réalisme. Les femmes font la cuisine et les hommes ne manquent pas une occasion de rappeler que c’est là leur place et que vouloir se lancer dans le théâtre est tout simplement ridicule. Leurs moqueries ne seraient pas trop graves si elles n’étaient suivies d’actes beaucoup plus violents. Comme celui-ci qui efface les adresses du téléphone de sa fiancée et lui ordonne de renoncer à ses rêves artistiques. Un discours qui constitue la toile de fond de toute la vie sociale, jusque dans l’Église (nous sommes dans une région Copte). Un travail de filmage particulièrement précis et significatif. Il y a beaucoup de plans de rues désertes et de terrasses, la nuit, dans une lumière crépusculaire.

Nous suivons aussi les prestations théâtrales de la petite troupe et les répétitions menées par Majda. Dans la rue, le public est surtout composé d’enfants curieux. Et l’on sent clairement la réprobation des adultes, surtout des hommes. Les « actrices » s’adressent directement aux femmes présentes. Mais leurs questions restent souvent sans réponse. Qu’importe. L’essentiel est de ne jamais renoncer à ses convictions.

Ce film a obtenu l’œil d’or au festival de Cannes 2024. Ce qui est grandement mérité.

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Par jean pierre Carrier

Auteur du DICTIONNAIRE DU CINEMA DOCUMENTAIRE éditions Vendémiaire mars 2016. jpcag.carrier@wanadoo.fr 06 40 13 87 83

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