Une poste à La Courneuve. Dominique Cabrera, 1994, 55 minutes.
Une plongée au cœur d’un service public dans la banlieue parisienne.
Un bureau de poste filmé alternativement du côté du public qui s’amasse devant le guichet et du côté des employés assis de l’autre côté de la vitre de séparation, ou dans la petite salle qui leur sert de lieu de détente.
La première impression du côté du public, c’est un effet de foule, de masse plutôt compacte. On s’entasse, on se serre, on se bouscule. Difficile de bien respecter l’ordre de passage selon les arrivées. D’où quelques tensions. Et quelques récriminations. Mais rien de bien grave. Ils ont l’habitude d’attendre, de ne pas pouvoir à cause des règlements administratifs effectuer ce pourquoi ils sont venus. D’avoir à revenir si possible avec les papiers demandés. Il y a bien le « râleur » de service, mais son discours ne soulève aucun mouvement collectif de protestation. Dans l’ensemble, l’atmosphère reste bon enfant. Il est vrai que les employés, par leur attitude, font tout pour désarmer la tension. De vrais modèles de patience et de compréhension. Ils écoutent, répètent les règlements, s’excusent presque de ne pas pouvoir accéder aux demandes. Il faut dire que les personnes en face d’eux ont souvent des difficultés insurmontables et ils le savent.
Ces difficultés sont surtout des difficultés d’argent, en dehors des problèmes de papier plus fondamentaux sans doute, mais l’argent, c’est le quotidien, l’immédiat. S’ils viennent à la poste, c’est pour retirer de l’argent. De quoi vivre au jour le jour. Toucher un mandat, toucher des allocations, le RMI, le chômage. Ou prélever les maigres économies qui restent encore sur un livret. Plus rarement, ils viennent faire un dépôt ou ouvrir un compte, mais toujours c’est d’argent qu’il s’agit. Et les plans où l’on manipule les billets, où on les compte sont nombreux. Aujourd’hui, le film nous replonge dans le vieux temps où cet argent était des Francs.

À côté de cette présence au milieu des usagers agglutinés devant les guichets – la caméra est vraiment au milieu d’eux – nous pouvons appréhender différentes caractéristiques du métier de postier. Tous, du guichetier au cadre en cravate en passant par la femme de ménage – ont affaire au public. La dimension relationnelle est donc fondamentale et systématiquement mise en avant dans le film. Nous sommes à une époque où la notion de service public était une réalité, une époque où le service au public avait un sens. Avant donc le virage vers des pratiques où les exigences plus commerciales dominent ? La Poste serait-elle devenue une entreprise comme les autres?
Ici, quelles que soient les difficultés dues à l’affluence le public est vraiment accueilli. Ce qui donne au film une un petit air de portrait collectif d’une certaine population d’une ville de banlieue, une population où dominent des personnes immigrées ou issues de l’immigration. Un public donc, en apparence très mélangé, mais en réalité d’une grande homogénéité sociale. Même si ce n’est pas dit ouvertement, on sent bien qu’ici la pauvreté domine.
Si la grande partie du film se passe dans le huis clos du bureau de poste, Dominique Cabrera nous offre quand même quelques vues sur la ville, une banlieue filmée en hiver, sous la pluie et dans le froid, à la tombée de la nuit le plus souvent. Ce qui nous vaut une image tintée de lumière chaude. Comme le premier plan filmant plein cadre les fenêtres éclairées d’un immeuble. Il faut rappeler que Dominique Cabrera a réalisé des films – Chroniques d’une banlieue ordinaire en particulier – qui ont fait d’elle, à côté de films autobiographique, une cinéaste de la banlieue.
