Juvenile court. Frederick Wiseman, Etats Unis, 1973, 144 minutes.
La justice des mineurs aux Etats Unis à travers le tribunal pour enfants de Memphis. Une immersion totale, un huis-clos. On ne sort pas du tribunal. Le film ne comporte que 4 plans d’extérieur, deux en ouverture, deux en fermeture. Le même plan, le bâtiment du tribunal vu en plan large et le boulevard qui le longe. Dans le film plus aucune sortie, aucun extérieur en plan de coupe, ou de respiration. Contrairement à une pratique que Wiseman généralisera jusqu’aux magnifiques plans de Paris vu depuis le toit de l’Opéra Garnier.
Juvenile court a une autre caractéristique qui peut surprendre les connaisseurs des films de Wiseman. Le film semble construit en deux parties, possédant chacune un rythme particulier. Dans la première le montage est des plus rapides. On ne prend pas du tout le temps de s’arrêter. Les plans courts se succèdent. Wiseman semble picorer dans le tribunal, montrant le plus d’aspects possibles dans le moins de temps possible.
Mais très vite, dans la deuxième partie du film, la plus longue, nous retrouvons le Wiseman de la durée, celui qui prend son temps pour nous permettre de comprendre le plus profondément possible de quoi il s’agit, ici les « affaires » que traite le tribunal. Le choix de ces situations permet à Wiseman de présenter un vaste panorama de la jeunesse des Etats Unis vue sous l’angle de la justice, c’est-à-dire principalement sous l’angle de la délinquance et des infractions à la loi. Mais pas seulement. Les relations familiales, la place dans la société, le développement affectif sont aussi évoqués dans presque toutes les affaires dont s’occupe le tribunal. Des affaires allant de la consommation de drogue au vol à main armée, aux agressions sexuelles en passant par les fugues et l’absentéisme scolaire. Dans chaque cas l’ensemble des faits disponibles est exposé systématiquement et interprété par de multiples intervenants, psychologues, éducateurs, travailleurs judiciaires ou avocats. Le juge n’est pas seul face à la variété des situations prises en compte.
C’est pourtant au juge que revient de prendre une décision lors des audiences qui clôturent chaque affaire. Le film dresse ainsi un portrait très précis de ce juge qui devient vite la figure centrale du film. Nous le voyons écouter, interroger, réfléchir en pesant le pour et le compte. Un portrait où l’accent est mis sur la dimension profondément humaine du personnage et donc de la justice dont il a la charge. S’il fait souvent référence à la protection de la communauté et au respect de la loi qui s’applique à tous, il évoque aussi souvent la nécessité de venir en aide à la jeunesse en difficultés, de la protéger, et de l’aider à devenir adulte. Une justice qui donc n’a pas qu’une dimension répressive.
D’ailleurs, à côté du juge, nous suivons aussi l’activité d’une jeune femme dont nous devinons qu’elle appartient à un service d’aide à l’enfance. Elle accompagne surtout de jeunes filles, les conseillant, les soutenant moralement pour leur permettre d’affronter au mieux les difficultés de vie qu’elles rencontrent. Un rôle fondamental, soulignant la dimension éducative de la justice.
Tout ceci est remarquablement présenté au cœur de la dernière affaire dont traite le film. Il s’agit d’un cas de complicité d’un vol à main armé. Le jeune accusé aura 18 ans dans trois mois. Doit-il être jugé par le tribunal pour enfant. Mais si son cas est traité par la cour d’assises, il risque jusqu’à 20 ans de prison. L’avocat joue ici un rôle fondamental, notamment pour faire accepter la décision au jeune intéressé. Mais celui-ci reste sur sa position. En pleurs, il affirme son innocence et refuse le placement temporaire en maison de redressement que prononce le juge pour le protéger. Une séquence particulièrement pertinente dans la vision que nous propose le film de la délinquance juvénile. Une vision qui n’a rien d’univoque ou de sectaire et qui se place toujours du côté de l’intérêt de l’enfant.
