Tardes de soledad, Albert Serra, Espagne-France-Portugal, 2024, 125 minutes
Passionnés de corrida, ce film est pour vous !
Vous y verrez des taureaux comme vous ne les avez jamais vus. Dès le premier plan l’énorme animal noire nous regarde dans mes yeux. Que nous dit-il ? Qu’il va mourir.
Dans l’arène nous sommes avec Andrés Rocca Rey, torero célèbre, et quelques autres de ces compagnons du spectacle, sans oublier le cheval. Mais c’est le face-à-face de l’homme et du taureau que filme surtout Albert Serra. Des plans serrés, presque des gros plans, souvent sur le visage du torero, avec ses grimaces sa concentration, sa peur peut être, son plaisir aussi. Pour le taureau, nous nous approchons de son corps ensanglanté, ce corps immense qui s’affale sur le côté et à qui on prendra les oreilles.
La corrida est une affaire d’hommes il n’y a pratiquement pas de femmes dans le film.
La corrida est une affaire de rituels et de superstition donc de répétition. Dans les mises à mort par exemple que Serra semblent particulièrement affectionner tant il les filme avec application. Il est vrai que c’est le moment phare de la corrida, celui qui soulève l’enthousiasme du public. Un public que l’on ne voit pas et que l’on entend très peu. La bande de sort est presque uniquement composée des mots du torero, comme un dialogue continu avec l’animal, mais composé d’injures, d’invectives, d’incitation au mouvement, à la charge. Un dispositif tout simple mais particulièrement efficace grâce à des micros dissimulés sur le corps du torero et cela compte beaucoup pour la dimension originale du film.

Nous sommes si près du taureau que le film a un surprenant côté intimiste. D’ailleurs nous entrons dans la chambre du taureau lors de son déshabillage. Il quitte son « habit de lumière » au début du film et son habillage filmé lui à la fin du film. Nous nous retrouvons aussi dans le minibus qui l’amène aux arènes ou à la fin du spectacle qui le conduit à l’hôtel. Seuls les compagnons d’Andrés parlent. Ils le félicitent, le glorifient. » Tu es le plus grand, le seul. Andrés semble indifférent à ce flot de superlatifs.
Le film ne prend surtout pas position sur la corrida. Ni pour ni contre, il évite soigneusement toute implication s personnelle du cinéaste. Il ne se permet aucun commentaire. Il se contente de filmer ce qui se passe dans l’arène. Mais cette neutralité est-elle tenable ? Ceux qui sont pour trouveront dans le film de quoi souligner l’esthétique des gestes, et ceux qui sont contre pourront dénoncer la gratitude de la souffrance animale et la cruauté de sa mort.
Au fond, ce film n’est-il pas tourné vers le passé ? L’évocation d’un temps ancien qui ne peut que disparaître un jour, prochainement peut-être, ou dans plus longtemps, peu importe. Le cercle des passionnés n’est-il pas condamné à se restreindre peu à peu ? D’ailleurs dans le film, le public a disparu.
Fipadoc. Biarritz 2025
