New York vert

Central Park. Frederick Wiseman, 1989, 176 minutes.

Central Park et un des films les plus importants de Wiseman.

Important par sa dimension d’abord, trois heures. Bien sûr, ce n’est pas le plus long des films du cinéaste.  On sait que Near Death dure presque six heures. Et on peut aussi rappeler que Menus plaisirs – les Troisgros, le dernier en date, lui, dépasse les quatre heures. Mais l’important n’est pas le record. L’important ? C’est la temporalité du film. Dans Central Park, il n’y a pas de temps mort, ou plutôt il n’y a que des temps morts. Ce qui, dans d’autres films, passerait pour des plans de transition, devient ici le corps même du film, Les corps étendus au soleil. Les marcheurs, les cyclistes et même les voitures sur les rues et avenues bordant le parc. Toute cette foule, souvent joyeuse et manifestement heureuse, est essentielle à la découverte du parc new-yorkais. Et même les balayeurs, ceux qui collectent les déchets et ceux qui taillent les haies. Ils ne font pas simplement partie du décor, ils sont aussi le parc lui-même. Tous les personnages anonymes sont essentiels au film, ils ne sont certainement pas de simples pions qu’on pourrait placer et déplacer à sa guise sur le grand échiquier du parc. Ils sont filmés dans des plans longs. Ou souvent brefs, des gros plans même. Peu importe. Ils ont tous une âme. L’âme du parc. Ils sont le parc. Et c’est là que réside le génie de Wiseman. Faire de simples individus anonymes les personnages centraux de son film.

En 2nd lieu, Central Park est important dans la mesure où il porte à la perfection la méthode même des films de Wiseman. Une méthode que l’on retrouve dans tous les films du cinéaste. Dans Central Park, Wiseman forge un modèle du cinéaste. Curieux et patient. Curieux parce qu’il va fouiller dans tous les coins et recoins du parc. Pour dénicher non pas l’inédit, le surprenant ou l’unique, mais pour mettre en valeur le détail signifiant qu’on retrouverait sans doute dans d’autres espaces, dans d’autres situations, mais qui ont du sens parce qu’ils sont filmés dans leur contexte. Un contexte qui sans être original est chaque fois indispensable. La méthode de Wiseman, c’est bien sûr d’être là où il se passe quelque chose. Le discours du maire au départ du marathon par exemple. Mais aussi là où il ne se passe rien en apparence. Mais où s’exprime la vie du parc. Des enfants qui jouent dans l’eau par exemple. Ou ceux qui bronzent au soleil ou qui lisent le journal, ou qui dorment, et les amoureux qui s’embrassent. Wiseman a souvent filmé les villes américaines, mais jamais avec autant de précision. C’est là le paradoxe, il filme New York en filmant les new-yorkais. Il rend la ville présente par son absence. Les gratte-ciels sont renvoyés à l’horizon, au fond de la coupole de verdure. Mais ils sont bien là. Pas pour nous obséder. Même pas pour nous faire rêver. Une présence passive mais essentielle. Central Park est un film de ville sans la ville, mais hantée par la ville.

 Central Park est un beau film parce que les personnes qui sont filmées sont belles. Elles sont là pour oublier la ville pour un temps seulement. Pour mieux la retrouver ensuite. Elles sont là pour se reposer. Même si elles courent tout le temps. Elles sont là pour faire oublier la foule. Même si elles se bousculent au départ du marathon. Elles sont là pour oublier leurs soucis et les contraintes, même s’il leur faut quand même respecter les règlements. Le séjour dans le parc est toujours une parenthèse, mais qui ouvre tant de possibilités.

Central Park est un film Beau parce que la musique est belle, les oiseaux sont beaux, les fleurs sont belles. Même les forces de l’ordre ont une belle allure sur leurs chevaux. On y sent respirer un certain bonheur.

Un film qui se termine comme il a commencé et qui pourrait encore durer longtemps.

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Par jean pierre Carrier

Auteur du DICTIONNAIRE DU CINEMA DOCUMENTAIRE éditions Vendémiaire mars 2016. jpcag.carrier@wanadoo.fr 06 40 13 87 83

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