Jeunes travailleurs en Chine

Jeunesse – Les tourments. Wang Bing, France, Luxembourg, Pays-Bas, 2024, 3h46.

Dans son premier film en 2002, le très remarquable A l’ouest des rails, Wang Ming nous proposait une immersion en profondeur et d’une durée conséquente dans une des réalités de la Chine actuelle, une Chine en mutation. À savoir dans ce film, l’industrie lourde des provinces du nord-est du pays. Une industrie en déclin avec ces usines à l’abandon ou tournant au ralenti. Un paysage sinistre, glacé, glacial. Parcouru par des trains dont on ne voit que l’intérieur de la locomotive et encore, sans les cheminots. Trois films d’une durée totale de 556 minutes, se décomposant en trois parties autonomes pouvant être vues indépendamment des unes des autres, mais constituant une unité parfaite.

Cette formule de trois films, n’en composant qu’un seul, se retrouve dans Jeunesse , consacré aux ateliers de confection textile de la ville de Zili, à 140 km de Shanghai, où il est difficile de dénombrer le nombre exact d’ateliers. Là sont venus travailler – Pas à la chaîne, mais c’est tout comme – de jeunes ruraux qui n’auraient chez eux guère de sources de revenus. Ils ne peuvent certes pas s’enrichir, ni même enrichir leur famille. Mais ils survivent avec des salaires ridicules et un horizon qui se limite au retour chez eux pour le Nouvel an.

Le premier épisode, intitulé Printemps, pose le décor. Des ateliers tous identiques où ronflent les machines à coudre. À l’étage supérieur, on découvre les chambres avec leur lit superposé pour la plupart et un désordre qui n’a d’égal que celui des rues, toutes plus encombrées de voitures et de tricycles les unes que les autres. Sous des ateliers, les patrons font les comptes, ce qui ne va pas toujours de soi. Et les ouvriers en sont réduits à les refaire sans cesse pour essayer d’obtenir quelques maigres augmentations.

Avec le 2e épisode, Les Tourments le décor n’a pas changé d’un iota. Les ateliers sont toujours aussi encombrés de d’issu. Les chambres sont toujours aussi sales. Une saleté qu’on retrouve dans les rues, dans les escaliers, dans les coursives. Le travail est toujours aussi répétitif et harassant. Mais l’atmosphère elle a changé. L’insouciance s’apparente du printemps a laissait la place à des conflits incessants avec les patrons au sujet des taux horaires du travail. Dans la rue et les ruelles sombres, les plans de nuit dominent. Il y règne une lumière blafarde. Et les séquences même ou les ouvriers montent dans les étages, dans les escaliers interminables, poursuivis par la caméra portée à l’épaule peuvent certainement donner le tournis à plus d’un spectateur. À l’évidence, ces escaliers ne conduisent pas au paradis.

Les difficultés, les problèmes individuels ou collectifs se succèdent. Là, une ouvrière a raté tout un ensemble pièce. Ailleurs un autre ouvrier a perdu son carnet de paye et le patron refuse de lui verser son salaire. On assiste à une risque, vue du haut des coursives entre un patron et un fournisseur. On apprend qu’un autre patron a filé avec la caisse. Il y a quelques années, des émeutes ont éclaté dans la ville. Et ceux qui les ont vécus gardent un souvenir douloureux des violences policières. Le cinéma de Wang Bing n’a jamais été aussi dramatique.

Qui sont ces jeunes que Wang Bing filme dans Jeunesse ? Ils sont certes jeunes et sans doute ils gardent encore les marques de l’insouciance qui caractérise souvent l’adolescence. Mais très vite, l’expérience du travail, la dure réalité du travail, les conduits à une toute autre perception du monde. Et de la société. Puisqu’ils ne font pas d’études, ils n’ont guère la possibilité de profiter de l’ascenseur social. A Zhili, ils ne sont pas chez eux. Quand ils rentrent dans leur famille, pour le nouvel an, on n’a pas l’impression que pour eux, ce soit une fête. Wang Bing film ce retour dans deux situations, le voyage en bus et en train est particulièrement sinistre. Et la chanson d’un guitariste solitaire est dominée par la tristesse. Les jeunes ne sont pas au fond du désespoir. Mais que peut leur réserver l’avenir ?

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Par jean pierre Carrier

Auteur du DICTIONNAIRE DU CINEMA DOCUMENTAIRE éditions Vendémiaire mars 2016. jpcag.carrier@wanadoo.fr 06 40 13 87 83

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