Notes biographiques et démarche de création
Août 2025
J’ai 26 ans, je commence à réaliser des films en super 8 dés les années 80, seul et par la suite accompagné de comédiens, amis coréalisateurs, avec lesquels nous fabriquons une dizaine de films courts. Une première étape : le festival du cinéma indépendant de Châteauroux (directeur artistique : Pierre Laudijois), où notre court en super 8 remporte le premier prix du festival. Je fais la connaissance de Joseph Morder, qui était membre du jury et découvre son « Journal filmé » sans trop comprendre l’ampleur de cette œuvre et des liens que je ferais par la suite avec Jonas Mekas et Alain Cavalier. Mais à cette époque je suis encore ignorant de ces références qui vont me nourrir et m’influencer par la suite.
Après une formation d’opérateur de prise de vue, dans les années 90, envisageant de devenir chef opérateur sur des tournages de fiction, je travaille un temps comme assistant opérateur sur des court-métrages 16 mm et cadreur de divers films documentaires en cinéma et vidéo.
Je découvre le cinéma expérimental et l’art vidéo durant les années 2000, en conjuguant plusieurs pratiques : réalisation de films courts, activité d’enseignement et de diffusion.
En 1996, à 33 ans, je travaille en tant qu’assistant d’enseignement à l’École Supérieure d’Art de Lorraine pour y développer un atelier vidéo avec les étudiants. (Je suis toujours professeur dans cette école). Travail passionnant qui motive la créativité, et permet la transmission d’un savoir tout en se remettant en question sur ses connaissances. Pour être dans une dynamique pédagogique, ma curiosité à la fois technique et sensible, je saisi la moindre occasion pour aller à la rencontre de la création vidéo contemporaine pour étayer mes échanges avec les étudiants.
En parallèle, je me lance dans la réalisation en Hi8 puis en mini DV des films courts documentaires : portrait d’un ami vétérinaire (en cinéma direct, à la manière de l’émission Strip Tease) « Les parasites sont là » durée 13’, sélectionné à la première édition des Rencontres Internationales Paris-Berlin, et primé au festival Sarre-Lor-Lux à Sarrebrück (Allemagne). Je participe à ces festivals et regarde avec curiosité toutes les programmations, rencontre d’autres réalisateurs et permet de comprendre comment me situer dans ce paysage complexe.
Mon premier regard est porté sur le réel, motivé par les rencontres qui peuvent déboucher sur un film, c’est à cet endroit de la réalisation que je me retrouve. J’adore me confronter à une situation, entouré de personnes qui agissent, les suivre en les filmant.
Mais, je vais par la suite bifurquer…
En tant que bénévole d’une association de diffusion de vidéos en Lorraine, « Les Yeux de l’Ouïe », je découvre tout un pan de la création contemporaine que je ne soupçonnais pas : Robert Cahen, Ermeline Le Mezzo, Francisco Ruiz de Infante, Joël Bartoloméo, Lydie Jean-Dit-Pannel… qui m’ouvrent l’esprit et me donnent envie d’expérimenter avec le médium vidéo. Ce sera un véritable choc esthétique qui va motiver mes nouvelles réalisations.
En 2000, je réalise « La reine » (durée 5′) sélectionné au festival Vidéoformes à Clermont-Ferrand, qui fut remarquée par Jean Paul Fargier, membre du jury. En me rendant à ce festival, j’y découvre d’autres créations vidéos, monobandes et des dispositifs d’installations vidéo dans l’espace. Les installations exposées dans des lieux historiques de Clermont-Ferrand m’impressionnent : n+n Corsino, Tamara Laï, Alain Bourges, Véronique Sapin, Lydie Jean Dit Pannel….
L’année suivante je suis invité par Vidéoformes (directeur artistique Gabriel Soucheyre et par Jean Paul Fargier) à une carte blanche, présentée devant le public, de mes toutes dernières réalisations. Même si ma prestation orale est encore timide, un cap est franchi. J’ai trouvé une voie qui me convient, je travaille en solitaire, en auto-production et me lance dans la réalisation de plusieurs films courts entre art video et cinéma expérimental (qui s’ouvre tout doucement au support numérique à cette époque)
En 2002, mon film « Tenter sans attendre » 8’, où j’évoque la fonte des glaces aux pôles avec des textes de Fernando Pessoa, est sélectionné à la première section ouverte au numérique « Labo » au festival de court-métrage de Clermont Ferrand, je me rends au festival, et regarde toutes les programmations de cette nouvelle section. Je constate la dominance de l’image de synthèse et 3D dans pas mal de productions.
Je suis, la même année, invité à montrer mes films au festival de cinéma indépendant Nemo, lors d’une carte blanche, à l’invitation de Gilles Alvarez, au Forum des Images à Paris, expérience intéressante car la salle était remplie et les réactions du public étaient positives. J’ai pu prendre conscience que certains aspects de mon travail étaient encore mal définis ou confus et que d’autres pouvaient toucher le public.
L’art vidéo – et le cinéma expérimental – sont une façon de manipuler un médium, une image numérique, la triturer pour l’emmener dans des zones esthétique que je découvre en pratiquant et dont je ne soupçonne pas l’existence avant d’avoir commencé, ayant pour point de départ une simple envie de faire. Ces images en mouvement deviennent alors un support potentiel pour y accrocher un propos cohérent ou incohérent qui me sert de deuxième moteur narratif après la découverte de ce flux visuel et sonore que j’assemble et que je livre au spectateur.
Mes courts métrages suivent l’évolution de la technique, après les fabuleuses caméra mini-Dv, apparaissent les caméscopes HDV, logiciel de montage Adobe première sur PC et puis maintenant caméras en Full HD et 4K, Final Cut Pro sur MacBook… Les modes de diffusion évoluent aussi. On passe de cassetteHi8, mini DV au fichier numérique, voire au fichier DCP. Je deviens complètement autonome sur tous ces aspects techniques.
Dans le genre documentaire, je retiens un autre film fondateur d’une écriture audio-visuelle importante dans mon parcours, « Neuf fragments de petites choses instantanées » 25’. Sous la forme d’un journal filmé, je retrace mon parcours de vie, une rencontre amoureuse, une vie de famille documentée au quotidien. Pas de trame narrative. Juste une succession de plans qui s’enchaînent plus ou moins rapidement passant d’une situation à l’autre. Le spectateur reconstitue l’ensemble et se fabrique son récit. Film, qui a divisé par son audace formelle, autant adoré que détesté. Sélectionné aux Etats généraux du film documentaire de Lussas en 2006 et au festival « Doc en court » à Lyon en 2007.
En 2005, le musée du Carreau de la Mine de Forbach me passe commande d’un film pour retracer la vie des mineurs de charbon. J’ai toute latitude. Je récupère des images d’archive du service audio-visuelle des Houillères du bassin de Lorraine. Je vais tourner dans un « lavoir » gigantesque usine qui conditionne le minerai. Le film, « Mémoire Carbone » est à la fois expérimental et documentaire. Par le traitement des images et des sons je propose une interprétation qui se rapproche d’une forme de peinture animée. (voir le film « 36000 » qui explore la même technique, dont je parle par la suite).
Les témoignages des mineurs se succèdent par petites touches en voix off, sans forcément chercher à recréer une réalité mais en accentuant davantage l’expression d’une constellation sonore, musicale, composée par le musicien (Philippe Joncquel) qui m’accompagne sur ce projet.
Le film connut un certain succès en festivals, mention du jury jeune au festival du Court-métrage de Clermont-Ferrand en 2006 et mention du jury au festival « DigiFlorence » (Italie). Puis de nombreuses sélections : Festival de Pesaro (Italie), Arcipelago, Rome (Italie), Instant Videos, Marseille, Traverse Video, Toulouse, Videoformes, Clermont-Ferrand, Festival d’animation Kultur Fabrik (Luxembourg)… Et un canal de diffusion en médiathèques initié par « Camera Stylo » (Nathalie Combe et Yann Sinic) qui édita à cette occasion un DVD de sa collection avec « Mémoire Carbone ».
De 2006 à 2012, Une période de six ans, durant laquelle je collabore avec mon frère Jean à l’écriture, à des réalisations de films poétiques où les textes de Jean sont les éléments déclenchant du processus de tournage. Nous sommes lauréat d’une bourse de création à Berlin où nous réaliserons une série de films courts en référence à l’écrivain allemand Theodor Fontane. Deux expositions (à Metz et Berlin) et une édition DVD voient le jour.
Sinon nos films sont diffusés dans des festivals, galeries, musées que ce soit en monobande ou en installation vidéo : Festivals de La Rochelle, Vidéoformes, Rotterdam, La Condition Publique, Lille… Deux éditions DVD rassemblent nos productions.
En 2019, un autre film « Entre mémoire » documentaire expérimental dans lequel je m’interroge sur le statut des images du passé et me projette dans un futur poétique où je fantasme sur le devenir des datas qui nous entoure. Retour sur un passé en images confronté au présent. Un voyage au fond de ma mémoire où je tente de guider le spectateur dans les méandres du souvenir.
Le rêve permet de retrouver les scories mémorielles. Quand on évoque le souvenir on effectue un voyage mental dans le passé mais aussi vers l’avenir.
La mémoire est un processus dynamique qui modifie l’information, c’est à dire la mémoire même. Je reprends des passages de « Neuf fragments de mon actualité ». Le film dans le film, c’est une chose que j’affectionne. Revenir sur mes anciennes images et les remettre en perspective du présent, m’ouvre un champ de créativité immense.
“Entre Mémoire” est un long métrage qui connut une belle série de projections dans différents festivals : Côté Court à Pantin (France)., Les Instants Vidéos à Marseille (France)., Le festival International Expérimental de Bogota (Colombie), Le festival de film Expérimental KINAM de Mexico (Mexique), Le festival de film expérimental d’Istambul (Turquie), Le Réel en Vue, Thionville, (France).
Mon dernier film expérimental date de 2023, ce sera mon dernier car je crois que je suis parvenu à obtenir ce que je cherchais formellement depuis plusieurs années.
« 36000 » un court de 6’, où je suggère une déambulation à travers un territoire augmenté d’images ralenties et pixelisées à l’extrême pour donner l’impression d’une peinture en mouvement, avec une référence à la vie des hommes de la préhistoire, chasseurs-cueilleurs, qui devaient leur survie à la course pour épuiser leurs proies pour se nourrir.
Depuis 2022, j’oriente mon travail avec une grande affirmation sur le « réel », avec cinq films-essais, réalisés entre 2022 et 2025, qui suivent une certaine logique dans leur mise en œuvre :
« Petits échanges, grande destinées », 45’. « Amis » 35’. « Comme une araignée » 52’. « Sait-on jamais où vont les hommes ? » 55’ « Comment dire ? » 30’
Quelques mots sur ces films :
- « Petits échanges, grande destinées », l’arrivée d’un petit chien dans ma vie, déclenche une réflexion philosophique sur le « vivant ». Mon animal de compagnie devient une sorte de « médium » qui m’aide à déambuler dans mes réflexions et à les documenter, avec des textes de Pablo Servigne, Marc Alizard, Dora Harraway, Patrick Leboute… Le film oscille entre une quête sur l’identité (la mienne) qui s’inscrit dans un monde vivant, et une recherche sur la compréhension du regard des autres sur mon chien.
- « Amis », j’utilise des images de 1998 tournée avec un ami vétérinaire iranien qui retrace son arrivée en France, sa rencontre avec mon père, lui aussi vétérinaire, et leur amitié qui va se dérouler sur quarante années. Je fais parler Saïd sur ces images et reconstruit un récit de vie, et par la même occasion son point de vue sur mon père, Martial, devient pertinent pour comprendre les étapes du parcours de Saïd, dans lequel Martial est étroitement impliqué.
- « Comme une araignée », une rencontre avec un photographe (Patrick Kuhn) autour de son travail, un dialogue sur la création et le sens donné aux images. Une dizaine d’intervenants viennent apporter leur témoignage en commentant plusieurs photos. Un film poétique, où la parole exprimée devient aussi importante que l’œuvre montrée.
- « Sait-on jamais où vont les hommes ? » J’invite plusieurs hommes de ma génération (55/65 ans) à venir s’exprimer devant la caméra, sur des sujets tels que : le genre, la relation amoureuse. Une parole douce et sensible s’exprime à l’encontre d’une certaine image de l’homme viril et dominateur véhiculée à notre époque. Un groupe de femmes intervient dans le film pour apporter leur regard sur ces hommes.
- « Comment dire ? » des étudiants en première année d’une école d’art s’expriment face caméra, sur des concepts simples : Le bonheur, L’amour, le futur, la politique… Un portrait de groupe apparaît, une parole fragile et sensible, la génération Z est sous nos yeux.
Quelques notes sur ma démarche.
Un cinéma documentaire, où la matière nait de la rencontre entre des individus me passionne. Mon point de départ est souvent lié à une problématique simple : le travail de la mémoire, l’interprétation de l’image, la parole libérée et sincère, rencontre avec des personnages…
Sous formes de dispositifs de tournage à deux caméras, je confronte ces personnages, je laisse vivre l’espace et le temps pour amasser une matière première, une certaine forme de réalité, une « réalité mutante » qui fait geste de « cinéma » dont je m’empare pour bâtir un narratif qui devient un film-essai, un prototype, qui s’ exprime au plus prêt ce que je voudrais transmettre ; la notion de Kama Muta associée à ces films me convient tout à fait.
Film-essai, parce que je ne pense pas rentrer dans ce qui constitue une tendance formelle classique du film documentaire. Ils se construisent au moment du montage. La « time-line » devient un scénario en friche, que j’élabore en testant plusieurs formules. Se dessinent des ébauches qui s’affinent avec le temps. Cela s’apparente à la sculpture. J’ai un bloc d’images et de sons desquels je retire de la matière pour sortir un film que je pense montrable à autrui. Même une fois achevé, le film que je projette au public, peut encore être modifié suivant mes impression ressentie lors de cette projection. A 62 ans, j’ai toujours l’envie de réaliser et d’accompagner les productions en projection publique. Je suis professeur en écoles d’art, le travail pédagogique est aussi source de régénération car j’ai le soucis de me mettre en éveil constant sur la création des arts visuels et sonores ;
Je travaille en autoproduction, pour garder une autonomie dans mon geste de création. N’étant pas un homme de dossiers de projets, je préfère me lancer tout de suite dans la réalisation. C’est un avantage. L’inconvénient, c’est que je suis tout seul et parfois cela me pèse. Seul au moment du tournage, du montage, de la post-production, et de la diffusion. J’aimerais aussi pouvoir m’appuyer sur un producteur qui puisse m’apporter un regard extérieur, une dynamique nouvelle et un réseau plus développé.
Je diffuse mes films. J’ai un site web qui recense toutes mes productions et une page Vimeo.
J’inscrits mes films aux appels des festivals. Et d’une manière plus directe, je commence à solliciter des structures associatives pour projeter mes films dans des lieux autres que les salles de cinéma, pour pouvoir toucher un public sans intermédiaire. J’accompagne les projections et la rencontre avec ce public prend une grande importance pour me permettre de prendre du recul par rapport à mes créations.
Projet actuel
Je tourne un documentaire sur un dispositif de transport en ruralité : « Mobilité solidaire ». J’accompagne des chauffeurs bénévoles qui véhiculent des bénéficiaires qui n’ont pas de voiture. Les trajets sont toujours liés à des démarches diverses : rendez-vous médical, bancaire, couses alimentaires… Le film est une mosaïque de conversations. On y aborde des sujets aussi variés que la météo, les animaux domestiques, le deuil, la modernisation des campagnes et la solitude.
Le chauffeur est un auditeur attentif qui encourage ses passagers à se livrer. La voiture devient un espace intime, une sorte de confessionnal roulant, où les barrières tombent.
C’est un travail ponctuel, des séries de petits tournages étalés sur une année, qui sera finalisé fin 2026.
